Kaléidoscope : Introduction au numéro thématique « Bien-être au travail : Concepts, méthodes et pluridisciplinarité » / Laurent Sovet

Le bien-être au travail s’est progressivement imposé dans les discours et les débats au cours des dernières années. Il suffit de saisir « bien-être au travail » dans un moteur de recherche pour obtenir des résultats foisonnants. Il peut s’agir notamment de conseils à destination des organisations ou des travailleurs, de témoignages, de rapports, de sondages variés ou encore d’éléments de définition dont l’ancrage scientifique est souvent discutable. Le bien-être au travail s’accompagne fréquemment d’autres termes comme bonheur, épanouissement, santé mentale, sens ou encore qualité de vie au travail. Nous pouvons aussi l’observer en creux à travers les risques psychosociaux, l’épuisement professionnel, la perte de sens, le stress ou encore la souffrance au travail. La diversité de ce vocabulaire rend compte du flou conceptuel qui entoure le bien-être au travail où facettes, causes et conséquences peuvent abusivement se confondre. Ce sujet n’est pas seulement un effet de mode et comporte des implications majeures au niveau économique, social et sanitaire (Dewe & Cooper, 2012). Dans ce contexte, définir et conceptualiser le bien-être au travail constituent des enjeux essentiels pour comprendre sa nature, son impact et son dynamisme sur les individus et sur les organisations (Sovet, 2016).

Selon l’Organisation Internationale du Travail, « le bien-être au travail concerne tous les aspects de la vie au travail, de la qualité et de la sécurité de l’environnement physique, à la manière dont les employés perçoivent leur travail, leurs conditions de travail, le climat au travail et l’organisation de travail » (2009). Cette définition laisse entrevoir le bien-être au travail comme un concept multidimensionnel qui se compose aussi bien d’éléments objectifs relevant des caractéristiques physiques et organisationnelles que d’éléments subjectifs relevant de la perception de l’individu vis-à-vis des caractéristiques de son emploi et de l’entreprise dans laquelle il travaille. D’un point de vue scientifique, le bien-être au travail est un objet d’étude pluridisciplinaire où l’élaboration d’une définition exhaustive et consensuelle reste complexe (Bliese et al., 2017 ; Danna & Griffin, 1999 ; Sarnin et al., 2015 ; Schulte & Vainio, 2010 ; Sovet, 2016). L’objectif de ce numéro thématique est de mettre en perspective ce débat conceptuel et pluridisciplinaire autour du bien-être au travail. À la lecture des six articles sélectionnés, plusieurs axes conceptuels et méthodologiques tendent à émerger.

En premier lieu, il ressort que les termes de « risques psychosociaux au travail » et « qualité de vie au travail » sont souvent invoqués comme angle d’approche pour concevoir et analyser le bien-être au travail dans une perspective individuelle et organisationnelle. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si nous retrouvons même une co-occurrence de ces deux termes dans l’article de Loïc Lerouge (2020) qui propose les décrypter et de les circonscrire sous l’angle du droit et de l’éthique. Dans l’article de Michel Guillemin (2020), les enjeux et les stratégies managériales au sein des organisations sont discutés avec une visée critique où l’appropriation des préconisations scientifiques pour agir efficacement sur les risques psychosociaux au travail. Enfin, un article collectif de Nicoleta Lesueur, Jean-François Gehanno, Angélique Lefebvre, François Michelot, Ariane Leroyer et Laetitia Rollin (2020), les conséquences des facteurs de risques psychosociaux sur l’état de santé sont examinées auprès d’un échantillon représentatif du personnel d’un centre hospitalier universitaire en France.

Le deuxième axe structurant de ce numéro thématique est celui de la modélisation de la complexité conceptuelle et des mécanismes inhérents au bien-être au travail. Ces contributions se caractérisent un enjeu important dans la définition des termes utilisés et des nuances à expliciter et à prendre en compte pour penser un tel objet d’étude. L’article de Jean-Simon Leclerc, Viviane Masciotra, Jean-Sébastien Boudrias et Francesco Montani (2020) vise à proposer un modèle intégratif des mécanismes sous-jacents aux liens entre santé psychologique, performance de tâche et innovante au travail. La démarche s’appuie sur une analyse relativement dense de la littérature scientifique couvrant plusieurs décennies de recherches au sein des organisations. L’article de Ilona Boniwell, Evgeny Osin et Justine Chabanne (2020) met à l’épreuve un modèle théorique de l’engagement et du bien-être au travail en conduisant une étude sur sa validité factorielle auprès d’un large échantillon de personnes en activité professionnelle. Enfin, l’article de Murielle Ntsame Sima et Natalia Telles-Homberger (2020) porte plus spécifiquement sur le bien-être psychologique au travail et la façon dont l’identité professionnelle et l’affirmation positive de soi agissent et interagissent sur celui-ci.

De manière transversale, il ressort de ces différentes contributions la nécessité de circonscrire et d’opérationnaliser le bien-être au travail en vue de l’étudier. Il peut s’agir de santé psychologique au travail (Leclerc et al., 2020), de bien-être psychologique au travail (Ntsame Sima & Natalia Telles-Homberger, 2020), d’engagement au travail (Boniwell et al., 2020), ou encore de facteurs de risques psychosociaux (Guillemin, 2020 ; Lerouge, 2020 ; Lesueur, 2020). Quel que soit l’ancrage disciplinaire, la posture épistémologique ou l’approche méthodologique, le bien-être au travail est encore difficile à concevoir comme un objet d’étude unifié sur lequel une analyse globale et multi-niveau pourrait être réalisée (Sovet, 2016). Des consensus la croisée des enjeux pratiques et scientifiques sont encore à trouver pour avancer dans cette direction à l’image de ce que l’on retrouve actuellement dans la littérature scientifique sur le sens au travail (Sovet & Bernaud, 2019). L’articulation du bien-être au travail entre des indicateurs objectifs et subjectifs (Lerouge, 2020) et entre des enjeux individuels et organisationnels (Guillemin, 2020) nécessite d’avancer vers des modèles plus complexes, dynamiques et multivariés (Bakker, 2015 ; Bliese et al., 2017 ; Boniwell et al., 2020 ; Leclerc et al., 2020 ; Ntsame Sima & Natalia Telles-Homberger, 2020 ; Sovet, 2016).

Suivant les perspectives soulevées par Guillemin (2020), ce dialogue des disciplines et des communautés s’avère indispensable : « la recherche ne doit pas se limiter à la psychologie et à la philosophie, mais doit impliquer de nombreux autres chercheurs, tant sur le plan de la santé au travail (ergonomie, psychodynamique, médecine, etc.) que sur celui du management, de la gestion des ressources humaines, de l’organisation du travail ainsi que sur celui de la sociologie » (p. 25). À la lecture de chaque article, nous pouvons facilement percevoir que l’étendue des connaissances est vaste à l’intersection de concepts théoriques, de pratiques organisationnelles et d’un cadre légal. Des démarches de synthèse sont et de décryptage indispensables pour en saisir pleinement les enjeux (Bliese et al., 2017). À ce titre, nous pouvons saluer la contribution réalisée par Leclerc et al. (2020) autour de la conceptualisation théorique de la santé psychologique du travail et de Lerouge (2020) autour du cadre légal entourant la santé au travail. La force de ce numéro thématique dédié au bien-être au travail est d’apporter des points de repères pluridisciplinaires pour aborder cet objet d’étude.

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Le bonheur au travail : Risques et opportunités / Michel Guillemin

Happiness at work: Risks and opportunities

Résumé

C’est dans la perspective du bien-être subjectif au travail que cet article traite du bonheur et de son émergence dans le monde du travail. Il est clair que l’une des raisons principales de cette émergence réside dans le fait que la souffrance au travail ne cesse d’augmenter et qu’elle appelle à un réveil des consciences et à l’expression de plus en plus forte des aspirations de plus en plus forte des individus concernés et en particulier des jeunes générations. Après un survol des mesures qui sont prises actuellement dans certaines entreprises, pour répondre à ces aspirations, il reste à comprendre pourquoi la situation ne s’améliore pas, malgré toutes les connaissances et les évidences scientifiques et économiques accumulées jusqu’ici. Cet article présente les risques et les opportunités se profilant dans les entreprises qui mettent en place des stratégies de promotion du bonheur au travail. C’est sur le plan éthique que se situent principalement les risques, si les objectifs réels de l’entreprise (rendement, économie) sont travestis en mesures apparemment humanistes. Quant aux opportunités, elles apparaissent très prometteuses tant sur le plan personnel des individus que sur le plan de l’entreprise et de la société, dont la « bonne santé » ne peut être qu’améliorée.

Mots-clés : Bien-être ; Santé globale ; Responsables du bonheur ; Enjeux éthiques ; Salutogénèse.

Abstract

In this paper, happiness is considered as a subjective feeling of well-being that may be threatened or promoted at the workplaces where this aspect has recently emerged. It is obvious that one of the main reasons to explain this emergence is the fact that suffering at work continues to increase and triggers awareness and craving for better working conditions especially for the younger generation. After a quick review of the measures some companies are taking to cope with these aspirations, it remains to understand why the global situation is not improving in spite of the knowledge and the scientific evidences accumulated up to now. This paper presents risks and opportunities looming ahead for companies that promote happiness at work through different strategies. Risks mainly occur at the ethical level when the real objectives of the company (benefits, productivity) disguise as apparently humanist measures. As to the opportunities, they look very promising both on a personal level and on a collective level for the company and for society whose “good health” can only be improved.

Keywords: Well-being; General health; Chief happiness officer; Ethical issues; Salutogenesis.

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Vers une conceptualisation intégrative des mécanismes explicatifs liant la santé psychologique à la performance de tâche et innovante au travail / Jean-Simon Leclerc, Viviane Masciotra, Jean-Sébastien Boudrias et Francesco Montani

Towards an Integrative Conceptualization of Explanatory Mechanisms Linking Psychological Health to Task and Innovative Performance at Work

Résumé

La contribution de la santé psychologique à la performance au travail a fait l’objet de nombreuses études. Bien que la majorité d’entre elles confirment la relation positive entre ces variables, notre compréhension des mécanismes médiateurs et modérateurs sous-jacents demeure embryonnaire. Les fondements théoriques et empiriques du lien existant entre la santé psychologique et la performance sont d’ailleurs très hétérogènes. Cet article théorique vise ainsi à développer un modèle intégrateur des mécanismes explicatifs liant la santé psychologique à deux types de performance (de tâche et innovante). Plus précisément, le modèle propose que la santé psychologique génère des bénéfices proximaux agissant à titre de médiateurs dans sa relation avec la performance, soit des bénéfices cognitifs, motivationnels et sociaux. Il est également proposé que les caractéristiques de l’emploi modèrent ces relations.

Mots-clés : Santé psychologique au travail ; Performance ; Innovation ; Caractéristiques de l’emploi ; Médiation ; Modération.

Abstract

The contribution of psychological health towards performance has been the subject of numerous studies. Although most of them confirm the positive relationship between these variables, our understanding of the underlying mediating and moderating mechanisms remains embryonic. Besides, the theoretical and empirical grounds of the health-performance relationship are very heterogeneous. This theoretical article aims to develop an integrating model of explanatory mechanisms linking psychological health to two types of performance (task and innovative). It is argued that psychological health generates proximal benefits that act as mediators in its relationship with performance, namely cognitive, motivational and social benefits. It is also argued that work characteristics moderate these relationships.

Keywords: Psychological health at work; Performance; Innovation; Work characteristics; Mediation; Moderation.

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Facteurs de risques psychosociaux et état de santé du personnel hospitalier : Une étude comparative dans un centre hospitalier universitaire français / Nicoleta Lesueur, Jean-François Gehanno, Angélique Lefebvre, François Michelot, Ariane Leroyer et Laetitia Rollin

Psychosocial risk factors and health status of hospital staff: A comparative study in a French university hospital center

Résumé

L’objectif de cet article vise à décrire les risques psychosociaux (RPS) et la santé psychique des différentes catégories du personnel hospitalier et à étudier les liens entre les troubles neuropsychiques et ces facteurs de risque psychosociaux. La population d’étude était un échantillon aléatoire des personnels d’un centre hospitalier universitaire français déterminé par leur mois de naissance : les 322 salariés nés en octobre d’une année paire. Le questionnaire de l’observatoire EVREST (EVolutions et RElations en Santé au Travail) version 2014 était administré lors des entretiens réalisés par une infirmière diplômée en santé au travail ou un médecin du travail, entre mi-juin et fin octobre 2014, après qu’une information individuelle ait été faite à chaque participant à l’étude. Les résultats ont été comparés aux résultats nationaux des travailleurs français à l’aide de l’observatoire national EVREST. L’analyse a porté sur 260 travailleurs, soit un taux de participation de 81%. Les personnels hospitaliers déclarent des contraintes psychosociales plus importantes par rapport aux autres travailleurs, en particulier le personnel médical et le personnel non médical soignant. La proportion de troubles neuropsychiques définis par la présence au cours des sept derniers jours à la fois d’une fatigue, d’une anxiété ou nervosité et de troubles du sommeil déclarés par le salarié, était plus importante chez le personnel hospitalier de façon générale par comparaison aux résultats nationaux (22% versus 7%), sans différence significative selon le groupe professionnel. Les facteurs associés significativement à la présence de troubles neuropsychiques étaient la pression temporelle, l’absence de possibilité d’entraide et la peur de perdre son emploi. L’état de santé neuropsychique des salariés hospitaliers semble plus altéré que chez les autres travailleurs français. Cela est associé à une exposition importante aux facteurs de risques psychosociaux.

Mots-clés : Personnel hospitalier ; Facteurs de risques psychosociaux ; Observatoire national EVREST ; Troubles neuropsychiques.

Abstract

To describe psychosocial constraints and mental health in different categories of hospital workers and to study links between mental health and psychosocial constraints. The population was a random sample of workers of a French University hospital: 322 workers born in October of a pair year. The 2014 Evrest (Evolutions and Relations between Health and Work) questionnaire was administered during a medical occupational interview performed by a nurse trained in occupational health between 2014 June and 2014 October. Psychosocial constraints and mental health were compared with all French workers group using data of the Evrest national observatory. A total of 260 interviews were carried out (response rate: 81%). Hospital workers declared more psychosocial constraints than other French workers, especially caregivers and medical workers. Prevalence of psychological distress defined by the association of fatigue, anxiety/nervousness and sleeping disorders was significantly higher for hospital workers than for French workers (22% vs 7%), without significant difference between categories of hospital workers. The factors significantly associated with the presence of psychological distress among caregivers were high time pressure, lack of help possibilities and fear of losing his job. Mental health of hospital workers seems to be worse than other French workers. This is associated with high level of psychosocial constraints.

Keywords: Healthcare workers; Caregivers; Occupational stressors; Evrest national observatory; Mental health.

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#article

Risques psychosociaux et qualité de vie au travail : Une articulation au prisme du droit et d’une approche éthique / Loïc Lerouge

Psychosocial risks and quality of life at work: An articulation through the prism of law and an ethical approach

Résumé

Bien que la démarche d’amélioration de la santé au travail soit l’objectif des politiques de prévention des risques psychosociaux (RPS) et des plans de qualité de vie au travail (QVT), elles sont pourtant fréquemment opposées dans les discours. Or, la santé au travail est aujourd’hui l’affaire de tous les acteurs du travail et même au-delà faisant des RPS et de la QVT non pas des approches qui s’opposent, mais bien des approches de la santé au travail à la philosophie complémentaire permettant d’articuler les politiques qui en découlent. Cette réflexion mènera ainsi à interroger le rôle de chacun en matière de santé au travail dans un cadre juridique et éthique.

Mots-clés : Travail ; RPS ; QVT ; Santé au travail ; Conditions de travail ; Prévention ; Droit ; Éthique ; Négociations collectives.

Abstract

Even though the process of improving occupational health is the objective of psychosocial risks (PSR) prevention policies and plans for quality of working life, they are however frequently opposed in speeches. However, occupational health addressed today all stakeholders in the workplace and even beyond making PSR and quality of working life not opposing approaches, but complementary philosophies occupational health approaches allowing to articulate the policies which result from them. This reflection will therefore lead to questioning the role of each in terms of occupational health inside a legal and ethical framework.

Keywords: Work; Psychosocial risks; Quality of working life; Health at work; Working conditions; Prevention; Law; Ethics; Collective bargaining.

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#article

Identité professionnelle et bien-être psychologique au travail : Effet médiateur de l’affirmation de soi positive / Murielle Ntsame Sima et Natalia Telles-Homberger

Professional identity and psychological well-being at work: Mediating effect of positive self-affirmation

Résumé

Considéré comme un indicateur positif de santé, le bien-être est au cœur des problématiques de santé publique. L’objectif de notre étude, basée sur la théorie de l’affirmation de soi, visait à examiner les déterminants et les processus favorisant le maintien du bien-être psychologique au travail (BEPT). Nous faisions l’hypothèse que l’affirmation positive de soi pourrait médiatiser le lien entre l’identité professionnelle et le BEPT. 178 participants (âge : = 35.71, σ = 11.61) de différents secteurs d’activité ont répondu à notre questionnaire. Les données ont été analysées en recourant à la modélisation par équations structurelles. Les résultats obtenus soutiennent que l’identité professionnelle exerce une influence directe et indirecte sur le BEPT à travers l’affirmation de soi positive. Nous avons conclu que la sensibilisation des travailleurs à l’affirmation de soi positive était une démarche qui pourrait fortement les aider afin de développer une identité professionnelle forte, laquelle à son tour, influencerait positivement le BEPT. Les implications de la théorie de l’affirmation de soi et pour la promotion du bien-être psychologique au travail sont discutées.

Mots-clés : Bien-être psychologique au travail ; affirmation de soi positive ; identité professionnelle.

Abstract

Well-being, a positive indicator of health, is in the center of public health. This study, based on self-affirmation theory, was aimed at examining the determinants and processes promoting the maintenance of psychological well-being at work (PWBW). We hypothesized that positive self-affirmation would mediate the relationship between professional identity and psychological well-being at work. Participants were 178 employees of different domains of activities. The results of structural equation modeling supported that positive self-affirmation fully mediated the links between profesionnal identity and psychological well-being. We concluded that awareness workers about positive self-affirmation was an approach that would greatly assist them in developing a strong professional identity, which in turn would positively influence PWBW. The implications of self-affirmation theory and psychological well-being at work promotion are discussed.

Keywords: Psychological well-being at work; Positive self-affirmation; Professional identity.

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#article

Engagement et bien-être au travail : Développement du Profil Organisationnel Positif / Ilona Boniwell, Evgeny Osin et Justine Chabanne

Engagement and well-being at work: Development of the Positive Organisational Profile

Résumé

De nombreux modèles scientifiques visent à expliquer l’engagement et le bien-être au travail. Certains se concentrent plus sur les facteurs personnels à activer et tandis que d’autres portent davantage sur les caractéristiques de l’environnement et du contexte organisationnel. Dans le présent article, nous proposons d’intégrer les antécédents organisationnels et personnels de l’engagement et du bien-être au travail dans le modèle du « Profil Organisationnel Positif » (POP). Cette recherche vise à valider un outil francophone de diagnostic alliant les ressources de l’individu, de l’environnement organisationnel et du rôle professionnel qui déterminent l’engagement et le bien-être au travail mais aussi la performance en s’appuyant sur un large échantillon de salariés français (= 1 734). Les résultats des analyses factorielles confirmatoires démontrent la validité structurelle du nouveau questionnaire dont les 18 échelles montrent une bonne fiabilité (α entre .73 et .93). Les analyses de régression multiple révèlent des associations prévisibles des différents types de ressources au travail avec l’engagement au travail, la dépendance du travail, l’épuisement, l’ennui, la satisfaction professionnelle, la conciliation entre les sphères de vie et l’auto-évaluation de la performance au travail. Le modèle POP offre une perspective intégrale sur les antécédents d’épanouissement organisationnel et personnel au travail. Le nouveau questionnaire francophone des ressources POP peut être utilisé dans la recherche et dans la pratique du développement organisationnel pour éclairer les interventions en identifiant les leviers potentiels de changement positif au sein des équipes.

Mots-clés : Engagement ; Performance ; Bien-être au travail ; Épuisement ; Ennui ; Ressources.

Abstract

A number of scientific models attempt to explain engagement and well-being at work. Some of them focus mostly on personality factors that can be activated, whereas others concentrate on the characteristics of the work environment and organisational context. In the present paper, we propose to integrate the organisational and individual antecedents of engagement and well-being at work in a single model termed “Positive Organisational Profile” (POP). The research aims to validate a French-language assessment tool bringing together personality resources, resources of the organisational environment, and resources of work role that determine engagement, performance, and well-being at work, using a large sample of French employees (N = 1 734). The results of confirmatory factor analyses support the structural validity of the new questionnaire with 18 scales showing good measurement reliability (α in the .73-.93 range). Multiple regression analyses reveal predictable associations of different types of resources at work with work engagement, work addiction, exhaustion, boredom, work satisfaction, work-life balance, and self-reported work performance. The POP model offers an integral overview of antecedents of organisational and individual flourishing at work. The new French-language questionnaire of resources POP can be used in research and in the practice of organisational development to inform interventions by identifying the potential drivers of positive change in teams.

Keywords: Engagement; Performance; Well-being at work; Exhaustion; Boredom; Resources.

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#article

Recension de « 21 leçons pour le XXIème siècle » de Yuval Noah Harari (Albin Michel, 2018) / Thierry Nadisic

Dans la continuité de « Sapiens » qui nous montre d’où nous venons et de « Homo Deus » qui éclaire notre avenir, j’ai aimé ce nouveau livre de Harari, l’historien au succès à présent planétaire, parce qu’il nous aide à saisir les enjeux du présent d’une façon nouvelle. Face à l’effondrement écologique et aux bouleversements technologiques, nos systèmes politiques libéraux sont en crise. Si la plus grande partie de ce que nous appelons aujourd’hui le travail est pris en charge par l’intelligence artificielle, qu’adviendra-t-il de tous ceux qui n’ont pas les compétences pour la créer et la gérer ? Les inégalités ont déjà explosé. Le recul de nos libertés organisé par des dictatures digitales devient également possible. Face à ces menaces globales, nos démocraties de marché peuvent-elles se réinventer sans sombrer dans le nationalisme ou les identités religieuses ? Il n’y a pas de réponse collective dans le livre à ces enjeux, mais une mise en lien originale entre notre Histoire commune et notre fonctionnement psychologique individuel. Cette connexion nous permet de repérer notre pouvoir d’agir. L’humilité, la compassion, la clarté face aux « fake news » et la conquête de notre libre arbitre par l’éducation et la souplesse mentale deviennent des ressources essentielles pour nous faire coopérer et construire le monde en nous libérant nous-mêmes.

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Recension de « Le boulot qui cache la forêt » de Mickaël Mangot (Larousse, 2018) / Laurent Sovet

À la croisée de l’histoire, de la psychologie et de l’économie, cet ouvrage se compose de 20 chapitres répartis en cinq grandes parties qui interrogent sous différents angles nos rapports au travail. Chaque chapitre porte sur un questionnement très spécifique tout en amenant une continuité tout au long de l’ouvrage tel un chemin au milieu de la forêt. Le début de l’ouvrage porte principalement sur la centralité du travail et les sources de satisfaction qui nous animent tandis que les derniers chapitres tendent davantage à présenter des manières originales de travailler et de concevoir le travail. Mickaël Mangot s’appuie sur des concepts fondamentaux et de nombreuses études dans un style très ludique. Les détours par l’histoire, les proverbes et les exemples ancrés dans le quotidien facilitent la compréhension et l’appropriation de l’ouvrage. Il y a un souci véritable de rendre accessible au plus grand nombre une littérature scientifique internationale et actualisée. Les sources sont rigoureusement référencées à la fin de l’ouvrage pour appuyer les propos. Les chapitres s’accompagnent très souvent d’exercices à destination du lectorat et de recommandations pratiques pour aller plus loin dans la réflexion sans pour autant tomber dans une quelconque injonction. À travers cet ouvrage, nous pouvons rapidement percevoir que bon nombre de nos questionnements sur le travail et la place qu’il occupe dans notre vie sont partagés par d’autres. De tels questionnements sont complexes et ne sont pas exempts de paradoxes qu’il faut parfois accepter ou dépasser. Mickaël Mangot présente avec passion et rigueur des pistes pour décrypter ces différents phénomènes. Prenant la métaphore de la forêt, il montre que les chemins à suivre sont multiples et pas nécessairement déjà tracés pour s’épanouir où le travail peut constituer un élément d’appui ou un élément central. Ainsi, à l’éternelle question « faut-il vivre pour travailler ou travailler pour vivre ? », il laisse à chaque personne le soin de trouver sa propre réponse dans un monde changeant. Cet ouvrage constitue une lecture utile et enrichissante qui cherche à comprendre la forêt qui se cache derrière le boulot.

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Recension de « Le management juste : Agir pour favoriser les sentiments de justice au travail » de Thierry Nadisic (PUG-UGA, 2018) / Mathilde Moisseron-Baudé

Au moment de rédiger la recension de l’ouvrage « Le management juste » de Thierry Nadisic paraissait dans la presse un article dans Huffpost de Torres Monica daté du 01/03/2019 titré « Voici ce que subit le corps quand on exerce un emploi que l’on déteste. Un travail délétère peut rendre malade de multiples façons ». Il est rapporté, entre autres, les travaux de recherche de E. Kevin Kelloway, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en psychologie de la santé au travail, qui s’intéresse aux relations managériales entre dirigeants et salariés et à leurs effets cognitifs, affectifs et physiques. Plus spécifiquement, il démontre notamment que le stress professionnel est amplifié lorsque le salarié juge la manière dont il est traité de façon injuste, immérité (Barling et al., 2004). L’injustice, selon lui, touche fondamentalement et intrinsèquement l’identité du salarié, fragilisant sa santé. Des preuves empiriques (Elovainio et al., 2003 ; Robbins et al., 2012) viennent par ailleurs, corroborer ses propos sur l’existence d’une relation entre perceptions d’injustice et santé au travail. Egalement, la thèse de Casaucau (2016) traitant « des liens entre le management juste et les états affectifs, l’engagement, le burnout et d’autres variables en lien étroit avec le bien-être et les attitudes positives au travail » met en exergue qu’un management juste contribue à la prévention du burnout au travail. La dernière étude de Gulseren et al. (2019) est d’ailleurs sans équivoque sur le sujet montrant que la confiance en ses supérieurs hiérarchiques lorsqu’un management juste existe, est un facteur de bien-être psychologique pour les salariés.

Ces illustrations illustrent avec pertinence la thématique traitée dans l’ouvrage de Thierry Nadisic paru en 2018 sur le management juste en témoignant de l’actualité du sujet mais également, de la nécessité de mettre en place des actions de prévention des risques professionnels, « d’agir pour favoriser les sentiments de justice au travail », dans une perspective pérenne d’amélioration des conditions de travail des salariés et de leur santé.

Depuis ses quarante dernières années – au travers de concepts encore relativement récents, les années 2000 pour les risques psychosociaux (RPS) ou encore 2015 pour la qualité de vie au travail (Valléry & Leduc, 2017) – les recherches et études affluent pour mieux comprendre les effets des changements profonds opérés dans le monde du travail sur les salariés. Devenus une préoccupation gouvernementale majeure (Gollac & Bodier, 2011 ; Nasse & Légeron, 2008) aux forts enjeux économique, juridique et de santé, deux grandes évolutions en matière de santé au travail se dessinent. Une première, relevant d’une logique de prévention et une autre, d’obligation de résultats et de moyens imposant à l’employeur de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, sous peine de sanctions pénales et de réparations civiles (cf. code du travail : article L. 4121-1 et suivants). Dans ce contexte socio-organisationnel, les stratégies des organisations s’attèlent à intégrer des plans de prévention des risques professionnels pour l’amélioration des conditions de travail, contribuant à développer une culture reliant la santé et le travail.

L’ouvrage de Thierry Nadisic s’inscrit dans cette dynamique en offrant aux dirigeants, managers et salariés, un outil d’action concret au travail pour traiter le sentiment de justice dans son univers professionnel. Parce qu’aujourd’hui l’autorité instituée n’est plus forcément synonyme de légitimité, le manager doit acquérir, en sus de ses compétences professionnelles, des compétences sociales dans une conception existentielle du management (Bernaud, 2018). Parce qu’il a été abondamment démontré le caractère reproductible, par effet de réciprocité, à traiter les autres comme on perçoit être traité par son milieu de travail prédisant au travers du climat social les comportements pro ou anti-organisationnels (Brunet & Savoie, 1999). Le manager juste doit prendre conscience et comprendre les liens de cause à effet entre ses actions et les réactions de ses collaborateurs.

Ainsi, conçu pour que chaque acteur puisse rendre sa vie au travail plus juste, ce livre de quatre-vingt-six pages est organisé autour de six courtes parties structurées, argumentées et illustrées avec un test portant sur huit affirmations inspirées des travaux de Colquitt (2001) pour se positionner vis-à-vis de son entreprise et de son manager afin de savoir si « vous sentez-vous justement traités au travail ? » (pp. 33-37).

Par des exemples concrets de situations vécues au travail et/ou au travers de recherches scientifiques attestant des propos avancés, les quatre types de sentiments de justice sont introduits avec leurs atouts, limites et conséquences autant sur l’organisation que sur la santé du salarié. C’est ainsi que se distingue en premier degré, la justice distributive dans son rapport rétribution/contribution relativement à l’effort fourni pour son travail puis, la justice procédurale dénommée aussi « l’effet du processus juste » (p.54) pour traduire la manière dont les décisions sont prises dans et par l’organisation et la justice interactionnelle reliant la justice interpersonnelle comprise dans le sens de la qualité des relations entretenues entre managers et salariés et la justice informationnelle au regard de la diffusion de la communication sur les décisions prises au sein de l’entreprise.

Ces représentations permettent aux professionnels de mener une réflexion sur sa conduite éthique motivée par sa morale personnelle, d’apprécier tout l’intérêt de devenir un professionnel authentique sans mettre à mal son efficience garantissant les besoins fondamentaux attendus en reconnaissance sociale et en besoin matériel. La construction de ce contexte favorable de justice organisationnelle par l’apport de connaissances, de formations et d’entrainements des dirigeants, managers au sein des organisations est à mener pour contribuer à l’engagement, au bien-être, à l’équité, à la confiance et à l’épanouissement des salariés annihilant ainsi toutes autres formes managériales délétères nuisant au travail. Cet ouvrage est moteur et encourageant, une aide plus globalement au développement ou au maintien du sens du travail (Bernaud et al., 2015). L’ouverture vers l’élaboration et la construction d’outils complémentaires au service d’un management par le sens est devenu essentiel car au-delà de la signification du travail pour le salarié, l’environnement au sein de l’organisation détermine son niveau de sécurité, sa santé, et son style de vie. Le lecteur gagnera à explorer cet ouvrage, puis sans doute à le recommander et à le diffuser. Ce sera, indéniablement, une lecture utile.

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