Le bien-être au travail s’est progressivement imposé dans les discours et les débats au cours des dernières années. Il suffit de saisir « bien-être au travail » dans un moteur de recherche pour obtenir des résultats foisonnants. Il peut s’agir notamment de conseils à destination des organisations ou des travailleurs, de témoignages, de rapports, de sondages variés ou encore d’éléments de définition dont l’ancrage scientifique est souvent discutable. Le bien-être au travail s’accompagne fréquemment d’autres termes comme bonheur, épanouissement, santé mentale, sens ou encore qualité de vie au travail. Nous pouvons aussi l’observer en creux à travers les risques psychosociaux, l’épuisement professionnel, la perte de sens, le stress ou encore la souffrance au travail. La diversité de ce vocabulaire rend compte du flou conceptuel qui entoure le bien-être au travail où facettes, causes et conséquences peuvent abusivement se confondre. Ce sujet n’est pas seulement un effet de mode et comporte des implications majeures au niveau économique, social et sanitaire (Dewe & Cooper, 2012). Dans ce contexte, définir et conceptualiser le bien-être au travail constituent des enjeux essentiels pour comprendre sa nature, son impact et son dynamisme sur les individus et sur les organisations (Sovet, 2016).
Selon l’Organisation Internationale du Travail, « le bien-être au travail concerne tous les aspects de la vie au travail, de la qualité et de la sécurité de l’environnement physique, à la manière dont les employés perçoivent leur travail, leurs conditions de travail, le climat au travail et l’organisation de travail » (2009). Cette définition laisse entrevoir le bien-être au travail comme un concept multidimensionnel qui se compose aussi bien d’éléments objectifs relevant des caractéristiques physiques et organisationnelles que d’éléments subjectifs relevant de la perception de l’individu vis-à-vis des caractéristiques de son emploi et de l’entreprise dans laquelle il travaille. D’un point de vue scientifique, le bien-être au travail est un objet d’étude pluridisciplinaire où l’élaboration d’une définition exhaustive et consensuelle reste complexe (Bliese et al., 2017 ; Danna & Griffin, 1999 ; Sarnin et al., 2015 ; Schulte & Vainio, 2010 ; Sovet, 2016). L’objectif de ce numéro thématique est de mettre en perspective ce débat conceptuel et pluridisciplinaire autour du bien-être au travail. À la lecture des six articles sélectionnés, plusieurs axes conceptuels et méthodologiques tendent à émerger.
En premier lieu, il ressort que les termes de « risques psychosociaux au travail » et « qualité de vie au travail » sont souvent invoqués comme angle d’approche pour concevoir et analyser le bien-être au travail dans une perspective individuelle et organisationnelle. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si nous retrouvons même une co-occurrence de ces deux termes dans l’article de Loïc Lerouge (2020) qui propose les décrypter et de les circonscrire sous l’angle du droit et de l’éthique. Dans l’article de Michel Guillemin (2020), les enjeux et les stratégies managériales au sein des organisations sont discutés avec une visée critique où l’appropriation des préconisations scientifiques pour agir efficacement sur les risques psychosociaux au travail. Enfin, un article collectif de Nicoleta Lesueur, Jean-François Gehanno, Angélique Lefebvre, François Michelot, Ariane Leroyer et Laetitia Rollin (2020), les conséquences des facteurs de risques psychosociaux sur l’état de santé sont examinées auprès d’un échantillon représentatif du personnel d’un centre hospitalier universitaire en France.
Le deuxième axe structurant de ce numéro thématique est celui de la modélisation de la complexité conceptuelle et des mécanismes inhérents au bien-être au travail. Ces contributions se caractérisent un enjeu important dans la définition des termes utilisés et des nuances à expliciter et à prendre en compte pour penser un tel objet d’étude. L’article de Jean-Simon Leclerc, Viviane Masciotra, Jean-Sébastien Boudrias et Francesco Montani (2020) vise à proposer un modèle intégratif des mécanismes sous-jacents aux liens entre santé psychologique, performance de tâche et innovante au travail. La démarche s’appuie sur une analyse relativement dense de la littérature scientifique couvrant plusieurs décennies de recherches au sein des organisations. L’article de Ilona Boniwell, Evgeny Osin et Justine Chabanne (2020) met à l’épreuve un modèle théorique de l’engagement et du bien-être au travail en conduisant une étude sur sa validité factorielle auprès d’un large échantillon de personnes en activité professionnelle. Enfin, l’article de Murielle Ntsame Sima et Natalia Telles-Homberger (2020) porte plus spécifiquement sur le bien-être psychologique au travail et la façon dont l’identité professionnelle et l’affirmation positive de soi agissent et interagissent sur celui-ci.
De manière transversale, il ressort de ces différentes contributions la nécessité de circonscrire et d’opérationnaliser le bien-être au travail en vue de l’étudier. Il peut s’agir de santé psychologique au travail (Leclerc et al., 2020), de bien-être psychologique au travail (Ntsame Sima & Natalia Telles-Homberger, 2020), d’engagement au travail (Boniwell et al., 2020), ou encore de facteurs de risques psychosociaux (Guillemin, 2020 ; Lerouge, 2020 ; Lesueur, 2020). Quel que soit l’ancrage disciplinaire, la posture épistémologique ou l’approche méthodologique, le bien-être au travail est encore difficile à concevoir comme un objet d’étude unifié sur lequel une analyse globale et multi-niveau pourrait être réalisée (Sovet, 2016). Des consensus la croisée des enjeux pratiques et scientifiques sont encore à trouver pour avancer dans cette direction à l’image de ce que l’on retrouve actuellement dans la littérature scientifique sur le sens au travail (Sovet & Bernaud, 2019). L’articulation du bien-être au travail entre des indicateurs objectifs et subjectifs (Lerouge, 2020) et entre des enjeux individuels et organisationnels (Guillemin, 2020) nécessite d’avancer vers des modèles plus complexes, dynamiques et multivariés (Bakker, 2015 ; Bliese et al., 2017 ; Boniwell et al., 2020 ; Leclerc et al., 2020 ; Ntsame Sima & Natalia Telles-Homberger, 2020 ; Sovet, 2016).
Suivant les perspectives soulevées par Guillemin (2020), ce dialogue des disciplines et des communautés s’avère indispensable : « la recherche ne doit pas se limiter à la psychologie et à la philosophie, mais doit impliquer de nombreux autres chercheurs, tant sur le plan de la santé au travail (ergonomie, psychodynamique, médecine, etc.) que sur celui du management, de la gestion des ressources humaines, de l’organisation du travail ainsi que sur celui de la sociologie » (p. 25). À la lecture de chaque article, nous pouvons facilement percevoir que l’étendue des connaissances est vaste à l’intersection de concepts théoriques, de pratiques organisationnelles et d’un cadre légal. Des démarches de synthèse sont et de décryptage indispensables pour en saisir pleinement les enjeux (Bliese et al., 2017). À ce titre, nous pouvons saluer la contribution réalisée par Leclerc et al. (2020) autour de la conceptualisation théorique de la santé psychologique du travail et de Lerouge (2020) autour du cadre légal entourant la santé au travail. La force de ce numéro thématique dédié au bien-être au travail est d’apporter des points de repères pluridisciplinaires pour aborder cet objet d’étude.
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