Au moment de rédiger la recension de l’ouvrage « Le management juste » de Thierry Nadisic paraissait dans la presse un article dans Huffpost de Torres Monica daté du 01/03/2019 titré « Voici ce que subit le corps quand on exerce un emploi que l’on déteste. Un travail délétère peut rendre malade de multiples façons ». Il est rapporté, entre autres, les travaux de recherche de E. Kevin Kelloway, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en psychologie de la santé au travail, qui s’intéresse aux relations managériales entre dirigeants et salariés et à leurs effets cognitifs, affectifs et physiques. Plus spécifiquement, il démontre notamment que le stress professionnel est amplifié lorsque le salarié juge la manière dont il est traité de façon injuste, immérité (Barling et al., 2004). L’injustice, selon lui, touche fondamentalement et intrinsèquement l’identité du salarié, fragilisant sa santé. Des preuves empiriques (Elovainio et al., 2003 ; Robbins et al., 2012) viennent par ailleurs, corroborer ses propos sur l’existence d’une relation entre perceptions d’injustice et santé au travail. Egalement, la thèse de Casaucau (2016) traitant « des liens entre le management juste et les états affectifs, l’engagement, le burnout et d’autres variables en lien étroit avec le bien-être et les attitudes positives au travail » met en exergue qu’un management juste contribue à la prévention du burnout au travail. La dernière étude de Gulseren et al. (2019) est d’ailleurs sans équivoque sur le sujet montrant que la confiance en ses supérieurs hiérarchiques lorsqu’un management juste existe, est un facteur de bien-être psychologique pour les salariés.
Ces illustrations illustrent avec pertinence la thématique traitée dans l’ouvrage de Thierry Nadisic paru en 2018 sur le management juste en témoignant de l’actualité du sujet mais également, de la nécessité de mettre en place des actions de prévention des risques professionnels, « d’agir pour favoriser les sentiments de justice au travail », dans une perspective pérenne d’amélioration des conditions de travail des salariés et de leur santé.
Depuis ses quarante dernières années – au travers de concepts encore relativement récents, les années 2000 pour les risques psychosociaux (RPS) ou encore 2015 pour la qualité de vie au travail (Valléry & Leduc, 2017) – les recherches et études affluent pour mieux comprendre les effets des changements profonds opérés dans le monde du travail sur les salariés. Devenus une préoccupation gouvernementale majeure (Gollac & Bodier, 2011 ; Nasse & Légeron, 2008) aux forts enjeux économique, juridique et de santé, deux grandes évolutions en matière de santé au travail se dessinent. Une première, relevant d’une logique de prévention et une autre, d’obligation de résultats et de moyens imposant à l’employeur de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, sous peine de sanctions pénales et de réparations civiles (cf. code du travail : article L. 4121-1 et suivants). Dans ce contexte socio-organisationnel, les stratégies des organisations s’attèlent à intégrer des plans de prévention des risques professionnels pour l’amélioration des conditions de travail, contribuant à développer une culture reliant la santé et le travail.
L’ouvrage de Thierry Nadisic s’inscrit dans cette dynamique en offrant aux dirigeants, managers et salariés, un outil d’action concret au travail pour traiter le sentiment de justice dans son univers professionnel. Parce qu’aujourd’hui l’autorité instituée n’est plus forcément synonyme de légitimité, le manager doit acquérir, en sus de ses compétences professionnelles, des compétences sociales dans une conception existentielle du management (Bernaud, 2018). Parce qu’il a été abondamment démontré le caractère reproductible, par effet de réciprocité, à traiter les autres comme on perçoit être traité par son milieu de travail prédisant au travers du climat social les comportements pro ou anti-organisationnels (Brunet & Savoie, 1999). Le manager juste doit prendre conscience et comprendre les liens de cause à effet entre ses actions et les réactions de ses collaborateurs.
Ainsi, conçu pour que chaque acteur puisse rendre sa vie au travail plus juste, ce livre de quatre-vingt-six pages est organisé autour de six courtes parties structurées, argumentées et illustrées avec un test portant sur huit affirmations inspirées des travaux de Colquitt (2001) pour se positionner vis-à-vis de son entreprise et de son manager afin de savoir si « vous sentez-vous justement traités au travail ? » (pp. 33-37).
Par des exemples concrets de situations vécues au travail et/ou au travers de recherches scientifiques attestant des propos avancés, les quatre types de sentiments de justice sont introduits avec leurs atouts, limites et conséquences autant sur l’organisation que sur la santé du salarié. C’est ainsi que se distingue en premier degré, la justice distributive dans son rapport rétribution/contribution relativement à l’effort fourni pour son travail puis, la justice procédurale dénommée aussi « l’effet du processus juste » (p.54) pour traduire la manière dont les décisions sont prises dans et par l’organisation et la justice interactionnelle reliant la justice interpersonnelle comprise dans le sens de la qualité des relations entretenues entre managers et salariés et la justice informationnelle au regard de la diffusion de la communication sur les décisions prises au sein de l’entreprise.
Ces représentations permettent aux professionnels de mener une réflexion sur sa conduite éthique motivée par sa morale personnelle, d’apprécier tout l’intérêt de devenir un professionnel authentique sans mettre à mal son efficience garantissant les besoins fondamentaux attendus en reconnaissance sociale et en besoin matériel. La construction de ce contexte favorable de justice organisationnelle par l’apport de connaissances, de formations et d’entrainements des dirigeants, managers au sein des organisations est à mener pour contribuer à l’engagement, au bien-être, à l’équité, à la confiance et à l’épanouissement des salariés annihilant ainsi toutes autres formes managériales délétères nuisant au travail. Cet ouvrage est moteur et encourageant, une aide plus globalement au développement ou au maintien du sens du travail (Bernaud et al., 2015). L’ouverture vers l’élaboration et la construction d’outils complémentaires au service d’un management par le sens est devenu essentiel car au-delà de la signification du travail pour le salarié, l’environnement au sein de l’organisation détermine son niveau de sécurité, sa santé, et son style de vie. Le lecteur gagnera à explorer cet ouvrage, puis sans doute à le recommander et à le diffuser. Ce sera, indéniablement, une lecture utile.
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