Kaléidoscope : Introduction au numéro thématique « Des ressources physiques aux ressources psychologiques et sociales » / Antonia Csillik et Charles Martin-Krumm

Le terme ressource vient de l’ancien français « ressource » et renvoie à un secours ou à quelque chose que l’on utilise en cas de besoin. Cette définition, qui définit un moyen, est suffisamment flexible pour s’appliquer à un grand nombre de situations. On parle tout autant de ressources environnementales que de ressources individuelles, ou encore de ressources au niveau d’une communauté. Ces ressources peuvent être aussi bien matérielles qu’immatérielles, physiques que mentales voire morales. C’est donc davantage la fonction qui définit la ressource, quelque chose que l’on utilise en cas de besoin, ou alors simplement une ressource latente qui sécurise celui ou celle qui la possède. On conçoit assez spontanément que ces ressources soient importantes, voire fondamentales. Pour autant, rien n’indique que chacune mène au bien-être voire au bonheur de manière équivalente. Quelle est l’influence des ressources en tous genres sur le bonheur des individus ? Se font-elles ressentir par leur présence ou seulement par leur absence ? Comment les conceptualiser et éventuellement les mesurer ? Sans prétendre épuiser le sujet, ce sont ces quelques questions auxquelles ce numéro se propose d’apporter des réponses. Les ressources y sont tour à tour psychologiques, sociales ou environnementales, et évaluées dans des contextes et populations très différents.

Pendant longtemps, les travaux de recherche en psychologie se sont focalisés sur les ressources sociales et leurs effets protecteurs contre le stress. Dès 1995, Diener et ses collaborateurs ont complété ces modèles avec un accent mis sur leurs effets sur le bien-être. Ces derniers ont défini les ressources de manière assez large en termes d’objets ou de caractéristiques personnelles que les personnes possèdent et qu’elles peuvent utiliser afin d’accomplir leurs objectifs. Ces ressources aident les personnes à accomplir leurs besoins physiques et psychologiques et à développer, par la suite, un sens de compétence ou de maîtrise. Des modèles plus complexes ont complété ces premiers, dont celui de Carl Rogers (1954) et ceux qui sont issus de la psychologie positive. Un modèle intégratif des ressources psychologique a été proposé (Csillik, 2017, 2019). Les ressources psychologiques constituent des facteurs protecteurs qui facilitent la résistance à l’adversité, ainsi que l’adaptation psychologique dans les situations difficiles de la vie. On distingue, d’une part, les ressources psychologiques, qui sont des facteurs internes, des prédispositions psychologiques que possède une personne, et d’autre part, les ressources environnementales extérieures, dont le soutien social. Ces ressources jouent le rôle de facteurs de protection, c’est-à-dire des facteurs qui tentent de réduire l’effet du stress et qui permettent à la personne de maintenir ses compétences dans des circonstances de détresse (Csillik, 2017, 2019).

L’objectif de ce numéro thématique est de mettre en perspective les résultats des sept articles sélectionnés, dans une perspective pluridisciplinaire autour de cette notion de ressource, tout en intégrant les dernières évolutions dans le domaine. Plusieurs axes thématiques tendent à émerger. En premier lieu, les ressources physiques sont mises en lumière à travers une notion nouvellement introduite en France : la « littéracie physique ». Ce premier article de Philip Jefferies (2020) traite donc des ressources physiques, qui ont été pendant longtemps ignorées dans la littérature. Il s’agit ici de mettre en évidence les effets de la littéracie physique, qui désigne la motivation, la confiance, la compétence physique, le savoir et la compréhension qu’une personne possède sur l’activité physique et qui lui permettent de valoriser et de prendre en charge son engagement envers l’activité physique pour toute sa vie (Whitehead, 2001, 2010), sur la résilience.

Les trois articles suivants portent sur le rôle des ressources psychologiques, telles que la notion de bienveillance, qui connait un franc succès dans la littérature depuis l’introduction de ce concept en 2003 par Neff. Dans le premier article Annie Paquet et Fabien Fenouillet (2020) proposent un éclairage sur les notions de gentillesse et de bienveillance, en faisant référence à la théorie de l’autodétermination de Deci et Ryan (2004) et à la psychologie des valeurs de Schwartz (2006) avec une proposition originale des définitions de la gentillesse et de la bienveillance, ainsi que des perspectives sur leur possible relation. Fabien Bac et Antonia Csillik (2020) présentent une étude clinique empirique évaluant les effets protecteurs de plusieurs ressources internes, telles que la disposition à l’attention consciente (mindfulness), l’intelligence psychologique, le sentiment d’efficacité personnelle et l’optimisme dispositionnel contre le burnout chez les soignants en soins palliatifs. Enfin, une troisième étude menée par Marion Karras, Antonia Csillik, Patricia Delhomme et Fabien Fenouillet (2020) explore le rôle protecteur de l’empathie, en tant que ressource facilitatrice des relations humaines, qui favoriserait les comportements prosociaux et inhiberait l’agressivité des comportements routiers. L’empathie serait donc une ressource protectrice des automobilistes, ce qui pourrait ouvrir des pistes de recherche intéressantes pour la prévention des risques routiers.

Les ressources extérieures à la personne telles que les ressources sociales et celles qui sont environnementales, dont principalement la nature, sont explorées dans trois études. Dans une première étude de Amandine Junot et Yvan Paquet (2020), l’exposition à la nature est conçue comme un vecteur du bien-être humain, dans le sens où elle favoriserait la construction de ressources mises en jeu dans la hausse de la vitalité. À l’aide des théories de la restauration de l’attention, de réduction du stress, des émotions et de l’autodétermination, cet article théorique explore les voies et mécanismes psychologiques impliqués, en approfondissant leurs relations afin de les intégrer dans un cadre théorique complet et unifié, permettant d’offrir une compréhension holistique sur la construction de ressources favorables à la vitalité en environnements naturels. Une étude expérimentale menée par Barbara Bonnefoy et Laure Léger (2020) a pour objectif de tester les effets restaurateurs de la nature sur les ressources attentionnelles. Un dernier article de Gaël Brulé, Marlène Sapin et Clémentine Rossier (2020) vient compléter les autres en apportant un éclairage des cadres théoriques et analytiques issus de la psychologie, de la sociologie ou des sciences politiques sur la question des ressources externes et notamment celle des ressources relationnelles et sociales stratégiques en lien avec le bien-être subjectif des personnes. En conclusion, ce numéro thématique propose une série d’études empiriques et d’articles théoriques qui sont en faveur de cette vision organismique de l’être humain telle que postulée par Rogers et Dymond (1954), avec des interconnexions et interdépendances des ressources physiques, psychologiques, sociales et environnementales. Ces quelques éléments nous montrent que la ressource est un prisme explicatif pertinent pour questionner le bonheur, une herméneutique plastique et féconde. Pour autant, ces quelques chapitres soulèvent tout autant de questions qu’ils apportent de réponses. Des questions restent à explorer, comme celle des ressources dont disposent certaines populations particulières, telles que les adolescents ou les personnes âgées, ainsi que le rôle des ressources économiques, en lien avec la religiosité et la spiritualité etc. Peut-être, ces pans ouverts dans ce numéro seront l’objet d’un numéro futur.

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Kaléidoscope : Introduction au numéro thématique « Bien-être au travail : Concepts, méthodes et pluridisciplinarité » / Laurent Sovet

Le bien-être au travail s’est progressivement imposé dans les discours et les débats au cours des dernières années. Il suffit de saisir « bien-être au travail » dans un moteur de recherche pour obtenir des résultats foisonnants. Il peut s’agir notamment de conseils à destination des organisations ou des travailleurs, de témoignages, de rapports, de sondages variés ou encore d’éléments de définition dont l’ancrage scientifique est souvent discutable. Le bien-être au travail s’accompagne fréquemment d’autres termes comme bonheur, épanouissement, santé mentale, sens ou encore qualité de vie au travail. Nous pouvons aussi l’observer en creux à travers les risques psychosociaux, l’épuisement professionnel, la perte de sens, le stress ou encore la souffrance au travail. La diversité de ce vocabulaire rend compte du flou conceptuel qui entoure le bien-être au travail où facettes, causes et conséquences peuvent abusivement se confondre. Ce sujet n’est pas seulement un effet de mode et comporte des implications majeures au niveau économique, social et sanitaire (Dewe & Cooper, 2012). Dans ce contexte, définir et conceptualiser le bien-être au travail constituent des enjeux essentiels pour comprendre sa nature, son impact et son dynamisme sur les individus et sur les organisations (Sovet, 2016).

Selon l’Organisation Internationale du Travail, « le bien-être au travail concerne tous les aspects de la vie au travail, de la qualité et de la sécurité de l’environnement physique, à la manière dont les employés perçoivent leur travail, leurs conditions de travail, le climat au travail et l’organisation de travail » (2009). Cette définition laisse entrevoir le bien-être au travail comme un concept multidimensionnel qui se compose aussi bien d’éléments objectifs relevant des caractéristiques physiques et organisationnelles que d’éléments subjectifs relevant de la perception de l’individu vis-à-vis des caractéristiques de son emploi et de l’entreprise dans laquelle il travaille. D’un point de vue scientifique, le bien-être au travail est un objet d’étude pluridisciplinaire où l’élaboration d’une définition exhaustive et consensuelle reste complexe (Bliese et al., 2017 ; Danna & Griffin, 1999 ; Sarnin et al., 2015 ; Schulte & Vainio, 2010 ; Sovet, 2016). L’objectif de ce numéro thématique est de mettre en perspective ce débat conceptuel et pluridisciplinaire autour du bien-être au travail. À la lecture des six articles sélectionnés, plusieurs axes conceptuels et méthodologiques tendent à émerger.

En premier lieu, il ressort que les termes de « risques psychosociaux au travail » et « qualité de vie au travail » sont souvent invoqués comme angle d’approche pour concevoir et analyser le bien-être au travail dans une perspective individuelle et organisationnelle. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si nous retrouvons même une co-occurrence de ces deux termes dans l’article de Loïc Lerouge (2020) qui propose les décrypter et de les circonscrire sous l’angle du droit et de l’éthique. Dans l’article de Michel Guillemin (2020), les enjeux et les stratégies managériales au sein des organisations sont discutés avec une visée critique où l’appropriation des préconisations scientifiques pour agir efficacement sur les risques psychosociaux au travail. Enfin, un article collectif de Nicoleta Lesueur, Jean-François Gehanno, Angélique Lefebvre, François Michelot, Ariane Leroyer et Laetitia Rollin (2020), les conséquences des facteurs de risques psychosociaux sur l’état de santé sont examinées auprès d’un échantillon représentatif du personnel d’un centre hospitalier universitaire en France.

Le deuxième axe structurant de ce numéro thématique est celui de la modélisation de la complexité conceptuelle et des mécanismes inhérents au bien-être au travail. Ces contributions se caractérisent un enjeu important dans la définition des termes utilisés et des nuances à expliciter et à prendre en compte pour penser un tel objet d’étude. L’article de Jean-Simon Leclerc, Viviane Masciotra, Jean-Sébastien Boudrias et Francesco Montani (2020) vise à proposer un modèle intégratif des mécanismes sous-jacents aux liens entre santé psychologique, performance de tâche et innovante au travail. La démarche s’appuie sur une analyse relativement dense de la littérature scientifique couvrant plusieurs décennies de recherches au sein des organisations. L’article de Ilona Boniwell, Evgeny Osin et Justine Chabanne (2020) met à l’épreuve un modèle théorique de l’engagement et du bien-être au travail en conduisant une étude sur sa validité factorielle auprès d’un large échantillon de personnes en activité professionnelle. Enfin, l’article de Murielle Ntsame Sima et Natalia Telles-Homberger (2020) porte plus spécifiquement sur le bien-être psychologique au travail et la façon dont l’identité professionnelle et l’affirmation positive de soi agissent et interagissent sur celui-ci.

De manière transversale, il ressort de ces différentes contributions la nécessité de circonscrire et d’opérationnaliser le bien-être au travail en vue de l’étudier. Il peut s’agir de santé psychologique au travail (Leclerc et al., 2020), de bien-être psychologique au travail (Ntsame Sima & Natalia Telles-Homberger, 2020), d’engagement au travail (Boniwell et al., 2020), ou encore de facteurs de risques psychosociaux (Guillemin, 2020 ; Lerouge, 2020 ; Lesueur, 2020). Quel que soit l’ancrage disciplinaire, la posture épistémologique ou l’approche méthodologique, le bien-être au travail est encore difficile à concevoir comme un objet d’étude unifié sur lequel une analyse globale et multi-niveau pourrait être réalisée (Sovet, 2016). Des consensus la croisée des enjeux pratiques et scientifiques sont encore à trouver pour avancer dans cette direction à l’image de ce que l’on retrouve actuellement dans la littérature scientifique sur le sens au travail (Sovet & Bernaud, 2019). L’articulation du bien-être au travail entre des indicateurs objectifs et subjectifs (Lerouge, 2020) et entre des enjeux individuels et organisationnels (Guillemin, 2020) nécessite d’avancer vers des modèles plus complexes, dynamiques et multivariés (Bakker, 2015 ; Bliese et al., 2017 ; Boniwell et al., 2020 ; Leclerc et al., 2020 ; Ntsame Sima & Natalia Telles-Homberger, 2020 ; Sovet, 2016).

Suivant les perspectives soulevées par Guillemin (2020), ce dialogue des disciplines et des communautés s’avère indispensable : « la recherche ne doit pas se limiter à la psychologie et à la philosophie, mais doit impliquer de nombreux autres chercheurs, tant sur le plan de la santé au travail (ergonomie, psychodynamique, médecine, etc.) que sur celui du management, de la gestion des ressources humaines, de l’organisation du travail ainsi que sur celui de la sociologie » (p. 25). À la lecture de chaque article, nous pouvons facilement percevoir que l’étendue des connaissances est vaste à l’intersection de concepts théoriques, de pratiques organisationnelles et d’un cadre légal. Des démarches de synthèse sont et de décryptage indispensables pour en saisir pleinement les enjeux (Bliese et al., 2017). À ce titre, nous pouvons saluer la contribution réalisée par Leclerc et al. (2020) autour de la conceptualisation théorique de la santé psychologique du travail et de Lerouge (2020) autour du cadre légal entourant la santé au travail. La force de ce numéro thématique dédié au bien-être au travail est d’apporter des points de repères pluridisciplinaires pour aborder cet objet d’étude.

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