Introduction au numéro thématique : « Sens et bonheur : Regards pluriels sur deux concepts en débat » | Caroline Arnoux-Nicolas et Laurent Sovet

Introduction to the theme issue “Meaning and happiness: Plural views on two concepts under debate”

Le sens et le bonheur sont deux concepts qui ont fait l’objet d’une attention particulière dans les sciences humaines et sociales au cours des dernières décennies ainsi que d’un intérêt marqué de la part du grand public. Pourtant, l’exploration des littératures scientifiques anglophone et francophone met en lumière certaines inconsistances dans leur appropriation et leur définition.

En effet, Sonja Lyubomirsky (2007) souligne que le bonheur peut être vu comme un « concept parapluie » qui englobe à la fois les approches hédonistes – à travers le bien-être subjectif – et les approches eudémoniques – à travers le bien-être psychologique. Dans ce contexte, les risques de « jingle-jangle fallacies » sont fréquents où certains termes vont être utilisés comme synonymes dans certaines publications ou comme éléments distincts dans d’autres publications (Donaldson et al., 2015 ; Sovet, 2014 ; Zeidner, 2021).

Quant au concept de sens, ce dernier apparaît comme complexe et relevant de multiples facettes, il s’avère possible de l’expliciter et de le modéliser (Bernaud et al., 2020). La littérature sur le sens de la vie est traversée par les mêmes ambiguïtés où les termes « plein de sens » (meaningful) et « sens » (meaning) sont parfois utilisés de manière interchangeables (Steger, 2019). En effet, Jean-Luc Bernaud (2021, p. 93) évoque que « le concept a souvent été remis en cause pour sa polysémie, la diversité de ses points d’ancrages conceptuels, voire ses confusions ». En l’occurrence, la vie pleine de sens (meaningful life) se définit comme un « processus psychologique qui implique nécessairement pour les individus de ressentir que leur vie a une importance, de donner un sens à leur vie et de déterminer un but plus général pour leur vie » (Steger, 2012, p. 177) tandis que le sens de la vie (meaning of life) représente les sources de sens qui constituent une vie pleine de sens (Sovet & Bernaud, 2019). Ces éléments de complexité et ces ambiguïtés terminologiques se retrouvent également dans le sens au travail (Arnoux-Nicolas, 2019 ; Sovet & Bernaud, 2019)

Ces difficultés à identifier des consensus peuvent freiner ou complexifier la compréhension des liens entre le sens de la vie et le bonheur dans la mesure où la définition choisie et explicitée pour chaque terme apparaît comme une étape déterminante. À ce titre, Laurent Sovet (2021, p. 185) rappelle que : « Le sens de la vie et le bonheur sont deux termes que nous pourrions avoir tendance spontanément à réunir dans une même phrase. De nombreux ouvrages de développement personnel à destination du grand public les mettent facilement en lien avec de multiples configurations possibles. En effet, il peut arriver qu’ils soient présentés comme deux synonymes, comme l’un étant la conséquence de l’autre ou encore comme deux rapports distincts à l’existence. Face à ces différents points de vue, il est possible de cerner très rapidement les enjeux d’apporter une définition précise à chaque terme ».

Vikor E. Frankl (1905-1997), professeur de neurologie et de psychiatrie, représentant de la troisième école viennoise de psychothérapie et auteur pionnier dans l’étude contemporaine du sens de la vie, aborde les liens entre sens et bonheur sous l’angle d’une causalité. Le sens y est appréhendé sous l’angle de la vie pleine de sens (i.e., et plus particulièrement la composante motivationnelle) tandis que le bonheur y est alors appréhendé sous l’angle du bien-être subjectif : « Le plaisir n’est jamais le but de l’existence, il est et doit demeurer un effet, et plus spécifiquement, la conséquence du fait d’avoir atteint un but. Le fait d’atteindre un but constitue une bonne raison d’être heureux. Autrement dit, si nous avons une raison d’être heureux, le bonheur suivra, automatiquement et spontanément, comme il se devra. Et c’est pourquoi nul ne doit chercher le bonheur, nul ne doit s’en occuper tant qu’il n’a pas de raison de le faire » (Frankl, 2009, p. 32). Plus récemment, une méta-analyse basée sur 51 études auprès de 27 000 personnes en Chine (Jin et al., 2016) et une méta-analyse basée sur 147 études menées auprès de plus de 90 000 personnes au profil varié (Li et al., 2021) mettent en évidence des corrélations moyennes entre la vie pleine de sens et le bien-être subjectif. En somme, ces éléments suggèrent que « la compréhension des liens entre le sens de la vie et le bonheur doit se penser au moins à un niveau terminologique et à un niveau théorique » (Sovet, 2021, p 195).

L’objectif de ce numéro thématique vise à mettre en dialogue sens et bonheur à la croisée de plusieurs contributions s’inscrivant dans le champ de la psychologie, de la philosophie et des sciences de l’éducation et à partir d’études empiriques et de revues de question. Il s’inscrit dans le prolongement du colloque international « travailler, s’orienter, quel(s) sens de vie ? » organisé conjointement par l’Université Paris Cité (i.e., anciennement Université Paris Descartes) et le Conservatoire National des Arts et Métiers à Paris du 21 au 23 novembre 2019. À la suite de cette manifestation scientifique, un appel à contributions fut lancé. Au total, ce numéro thématique réunit quatre articles, trois recensions et une postface.

Les deux premiers articles apportent des éléments de réflexion sur la manière de conceptualiser les liens autour du bonheur et du sens. Plus spécifiquement, les liens entre le bien-être subjectif et le bien-être psychologique sont discutés et parfois revisités pour se diriger vers une approche plus holistique ou intégrative. Samia Ben Youssef Mnif (2022) s’appuie sur une revue approfondie de la littérature en psychologie et en philosophie pour comparer les conceptions occidentales et arabo-musulmanes du bonheur. Elle fait ressortir à la fois les éléments de ressemblances et différences et leurs répercussions sur la mesure du bonheur. Marie-Pierre Demon Feuvrier (2022) apporte un éclairage critique sur les conceptualisations du bonheur dans la littérature scientifique en soulignant la nécessité d’envisager une meilleure conciliation entre le bien-être subjectif et le bien-être psychologique. Une étude empirique sur les représentations sociales du bonheur est y menée auprès d’une population naïve et d’une population experte dans plusieurs pays anglophones et francophones. Ces deux premières parties servent d’éléments d’appui pour proposer un modèle intégratif du bonheur.

Les deux articles suivants mettent l’accent sur la manière dont il est possible de favoriser le bonheur et le sens. Stéphane Bonzon et Shékina Rochat (2022) proposent une revue de questions sur l’effectuation – définie comme « la manière dont les entrepreneur·e·s agissent dans l’incertitude en partant des ressources qu’ils et elles ont à disposition pour créer de la valeur par la transformation de leur environnement » (p. 64) – et ses liens potentiels avec le bonheur et le sens à l’échelle de l’individu et de la société dans un contexte de transformation des parcours professionnels et de promotion des objectifs de développement durable. Shékina Rochat et Caroline Arnoux-Nicolas (2022) appréhendent le jeu comme une métaphore utile porteuse de sens, voire même pourvoyeuse de bonheur pour l’individu dans sa vie, à l’aune de deux perspectives conjuguées, celle de la psychologie existentielle et celle de la psychologie positive. Des pistes d’application du jeu dans des dispositifs de recherche et des interventions tant dans le domaine de l’orientation tout au long de la vie que dans la sphère du travail y sont proposées et discutées.

Pour compléter ce numéro thématique, trois recensions d’ouvrages sont proposées respectivement par Nadia Baatouche (2022), Mathilde Moisseron-Baudé (2022) et Laurent Sovet (2022). Ces ouvrages ont en commun de proposer des pistes d’interventions et des réflexions pratiques sur le sens et le bonheur. En conclusion, ce numéro thématique apporte des éclairages complémentaires sur les concepts de sens et de bonheur et la manière de se les approprier dans la littérature scientifique. Christian Heslon (2022) offre une postface critique sur les enjeux terminologiques, épistémologiques, étymologiques et conceptuels qui structurent les liens entre sens et bonheur. De manière élargie, son écrit invite à rechercher davantage de consensus en vue de parvenir à concilier les termes et les concepts au fondement des sciences du bonheur.

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#kaleidoscope

Le bonheur au carrefour des conceptions occidentales et arabo-musulmanes : Caractéristiques, différences et impacts empiriques | Samia Ben Youssef Mnif

Happiness at the crossroads of Western and Arab-Muslim conceptions: Characteristics, differences and empirical impacts

Résumé

Les conceptions psychologiques du bonheur puisent quasi exclusivement dans des sources philosophiques occidentales dominant les théories générales sur le bonheur et le bien-être, prévalant comme la norme dans la recherche en psychologie (Tadin, 2015). Or la psychologie en tant que science du comportement aborde l’individu dans sa singularité, en particulier dans son contexte socioculturel. Nous posons la question de savoir si le bonheur en tant que déterminant du progrès universel social et humain couvre les mêmes dimensions et requiert les mêmes significations dans des cultures différentes (arabo-musulmanes) de celle où il a été conceptualisé scientifiquement et empiriquement (culture occidentale). Cet article, sous forme de revue de questions d’une part et de recherches empiriques dans la culture arabo-musulmane d’autre part, attire notre attention sur le fait que les dimensions du bonheur diffèrent d’une culture à une autre, ce qui impacte considérablement sa mesure. Une analyse comparative entre la conception occidentale et la conception arabo-musulmane du bonheur est apportée incitant à approfondir la réflexion sur l’universalité du concept du bonheur. Des pistes de recherches et d’actions sont proposées à la fin de l’article afin que la dimension socioculturelle du bonheur soit considérée comme un facteur à intégrer dans la mesure du bonheur humain universel.

Mots-clés : Bonheur universel ; Bien-être, Vertus ; Religiosité ; Culture occidentale ; Culture arabo-musulmane.

Abstract

Psychological conceptions of happiness draw almost exclusively from Western philosophical sources, dominating general theories of happiness and well-being, prevailing as the norm in psychological research (Tadjin, 2015). Yet psychology as a science of behavior addresses the individual in their uniqueness, particularly in their socio-cultural context. We ask the question of whether happiness as a determinant of universal social and human progress covers the same dimensions and requires the same meanings in cultures different (e.g., Muslim Arabs) from the one where it has been conceptualized scientifically and empirically (e.g., the West). This article, part a review of issues and part empirical research in Muslim Arabs’ culture, draws our attention to the fact that the dimensions of happiness differ from one culture to another, which has a considerable impact on its measurement. A comparative analysis between the West’s and the Muslim Arabs’ conceptions of happiness is done to encourage further reflection on the universality of the concept of happiness. At the end of the article, further research and action is proposed such that the socio-cultural dimension of happiness is considered as a factor to be integrated in the measurement of universal human happiness.

Keywords: Universal happiness; Well-being; Virtues; Religiosity; Western culture; Muslim Arab culture.

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#article

Un modèle intégratif du bonheur pour en percevoir le sens | Marie-Pierre Demon Feuvrier

An integrative model of happiness to perceive its meaning

Résumé

Cet article vise à déterminer les articulations entre bonheur et sens, en analysant dans un premier temps quelques théories fondamentales du bonheur, par une étude empirique dans un deuxième temps, et en proposant in fine un modèle intégratif du bonheur capable d’expliquer la diversité des représentations du bonheur entre les personnes. Le bonheur est un concept polysémique. Les recherches sur le bonheur se développent davantage depuis une trentaine d’années. Cependant, les conceptualisations scientifiques du bonheur ne font pas consensus, et restent aussi diversifiées que les approches philosophiques dont elles sont issues. Le croisement avec le concept de sens permet de comprendre notamment qu’une dimension temporelle n’est pas toujours prise en compte dans les modèles, qui ne distinguent pas la signification du bonheur sur un moment, son importance et la quête de bonheur. Nous avons récolté les définitions du bonheur d’une centaine de personnes issues de cultures diversifiées, avec deux échantillons. Dans le premier, des personnes dites « naïves », à savoir interrogées spontanément sur la notion du bonheur sans qu’elles aient réfléchi au préalable au sujet. Dans le deuxième, des « personnalités » ayant déjà intégré une réflexion (scientifique, philosophique, éducative ou anthropologique), en vertu de leur fonction, sur le bonheur. Les résultats montrent que dans les deux catégories, les définitions du bonheur sont presque aussi nombreuses que les individus eux-mêmes. L’analyse qualitative (analyse thématique) révèle cependant différents niveaux de sens que les personnes donnent, ou associent, au bonheur. Plus les personnes ont évolué en conscience, plus elles ont la vision d’un bonheur en termes de processus. Nous proposons un modèle intégratif du bonheur comme analyseur des conceptions du bonheur, à la fois empiriques et théoriques, qui nous amène à envisager le bonheur dans une perspective dynamique et évolutionnaire, mettant en évidence l’interdépendance des facteurs personnels, comportementaux, émotionnels et environnementaux. Le bonheur est modélisé comme un guide motivationnel qui permet de gérer les ressources d’une personne qui vit, agit, interagit et évolue dans son environnement. De ce fait, les différents sens du bonheur s’en trouvent éclairés.

Mots-clés : Bonheur ; Bien-être ; Sens ; Conscience ; Buts ; Modèle systémique.

Abstract

This paper aims to determine the links between happiness and meaning, first by an analysis of several fundamental theories of happiness, second by an empirical study, and finally by a proposal of an integrative model of happiness capable of explaining the diversity of the representations of happiness between people. Happiness is a polysemous concept. Research on happiness has developed rapidly in the last thirty years. However, the scientific conceptualizations of happiness have not generated a consensus and so remain as diverse as the philosophical approaches from which they are derived. Comparing happiness with meaning shows that the temporal dimension is not always considered in the existing models, which do not distinguish the meaning, importance, or pursuit of happiness at a given moment. We collected the definitions of happiness from a hundred people from various cultures across two samples. The first sample consisted of « naive » people who were asked spontaneously about the notion of happiness without having reflected on the subject beforehand. The second sample consisted of « experts” who had chosen a professional stance on happiness (be it scientific, philosophical, educational, or anthropological). In both samples the results show that definitions of happiness are almost as numerous as individuals. However, the qualitative analysis (thematic analysis) reveals different levels of meaning that people give to or associate with happiness. The expert sample more often described happiness as a process. We propose an integrative model of happiness as an analyzer of both empirical and theoretical conceptions of happiness, which leads us to view happiness from a dynamic and evolutionary perspective, highlighting the interdependence of personal, behavioral, emotional, and environmental factors. Happiness is modeled as a motivational tool that guides the management of the resources of a person who lives, acts, interacts, and evolves in their environment. As a result, the different meanings of happiness are clarified.

Keywords: Happiness; Well-being; Meaning; Consciousness; Systemic model.

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#article

« Durabilité au carré » : L’effectuation au service des carrières individuelles, du bonheur et des besoins du monde | Stéphane Bonzon et Shékina Rochat

« Squared Sustainability »: Effectuation in the service of individual careers, happiness and the needs of the world

Résumé

Afin de réconcilier deux visions de la carrière durable, qui renvoient tour à tour à des préoccupations tantôt centrées sur le bien-être de l’individu et tantôt sur la préservation de l’environnement, cet article propose le concept des carrières durables « au carré » caractérisant des carrières durables non seulement du point de vue de l’individu, mais également de la société et de l’écologie. Pour ce faire, nous introduisons à une nouvelle approche de la carrière et suggérons l’« effectuation » — qui décrit la manière dont les entrepreneur·e·s créent de la valeur en contexte d’incertitude — comme logique d’action permettant de l’atteindre. Les apports et limites de ces propositions seront discutés, de même que les implications pour la pratique et la recherche.

Mots-clés : Effectuation ; Carrière ; Durabilité2 ; Incertitude ; Entrepreneuriat.

Abstract

To reconcile two visions of the sustainable career, which refer to concerns centered sometimes on individual well-being and sometimes on environmental preservation, this paper proposes the concept of “squared” sustainable careers, characterizing careers that are not only sustainable from the individual’s point of view but also from societal and ecological perspectives. To this end, we introduce a new approach to careers and suggest the concept of “effectuation” —which describes the way entrepreneurs create value in the context of uncertainty — as a possible way to achieve such “squared” career sustainability. The contributions and limitations of these proposals will be discussed, as well as the implications for practice and research.

Keywords: Effectuation; Career; “Squared” sustainability; Uncertainty; Entrepreneurship.

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#article

Le jeu : Une approche porteuse de sens, voire de bonheur ? | Shékina Rochat et Caroline Arnoux-Nicolas

Game: An approach that brings meaning, even of happiness?

Résumé

Le jeu a souvent été présenté comme une activité essentielle au bon développement et au bien-être des individus. Néanmoins, les liens entre ces concepts ont peu été étudiés. Dans cet article, nous examinerons comment le jeu, en tant qu’activité et métaphore pour aborder la réalité, est susceptible d’aider tout un chacun à trouver du sens à son existence et à vivre davantage de bonheur. À cet effet, le jeu sera mis en relation avec les principes-clés de la psychologie existentielle et de la psychologie positive, de sorte à étudier les synergies potentielles entre ces concepts. Les apports et limites de cette métaphore pour favoriser le sens et le bonheur seront discutés et des pistes pratiques seront proposées.

Mots-clés : Jeu ; Sens ; Bonheur ; Bien-être ; Métaphore.

Abstract

Play has often been presented as an essential activity for the proper development and well-being of individuals. However, the links between these concepts have rarely been studied. In this article, we will examine how play, as an activity and as a metaphor for dealing with reality, can help everyone find meaning in their lives and live more happily. To this end, play will be linked to the key principles of existential psychology and positive psychology, to study the potential synergies between these concepts. The contributions and limits of play as a metaphor to promote meaning and happiness will be discussed, and practical interventions will be proposed.

Keywords: Play; Meaning; Happiness; Wellbeing; Metaphor.

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#article

Recension de « Psychologie de l’accompagnement. Concepts et outils pour développer le sens de la vie et du travail » de Jean-Luc Bernaud, Lin Lhotellier, Laurent Sovet, Caroline Arnoux-Nicolas et Frédérique Moreau (Dunod, 2020) | Nadia Baatouche

Au moment où paraît cette seconde édition de l’ouvrage « Psychologie de l’accompagnement. Concepts et outils pour développer le sens de la vie et du travail », notre monde est bouleversé par une pandémie. Les répercussions de cette crise sanitaire majeure − qui succède elle-même à d’autres crises − sont profondes, tant au niveau de la santé mentale avec notamment une augmentation du nombre de personnes en situation de dépression ou d’épuisement (Ustun, 2021 ; Ye et al., 2020) qu’au niveau social et économique (Guerini et al., 2020 ; Guilllot & Khlat, 2020). Or, ainsi que l’illustre cet ouvrage de 138 pages, dans le climat anxiogène qui est une marque de notre société postmoderne, la question du sens de sa vie et de son travail se réinvite dans les pensées. L’individu confronté à la finitude, cherchant un apaisement psychologique, explore ses expériences de vie personnelles et professionnelles. Quel est le sens de son parcours ? Quelle direction donner à sa vie dans ce monde incertain ? L’intérêt pour le sens est inéluctablement lié à l’équilibre de vie d’un individu, son rapport à la société et aux autres (Bernaud, 2018a, 2018b). Comment évoluer dans ce monde aux repères flottants, ce monde où les crises s’enchaînent, en surmontant un sentiment de vide existentiel, dont le corolaire est souvent une perte de sens du travail ?

Pour tout professionnel se pose la question de l’accompagnement de ces personnes en crise existentielle (Bernaud, 2018a, 2018b). Cet ouvrage collectif apporte des repères théoriques et une palette d’outils utiles aux praticiens de l’accompagnement, mais aussi aux étudiants souhaitant investiguer le concept de sens. Le livre s’articule autour de deux grandes parties. C’est tout d’abord à une exploration des fondements théoriques que les auteurs nous convient, dans une première partie procédant à un état des lieux de la pensée et de la recherche autour de la question du sens de la vie et du sens du travail. Ils abordent la définition du sens de l’existence, en questionnant tour à tour l’origine du concept, ses propriétés et ses composantes. Les auteurs présentent dans cet ouvrage les cadres de références disciplinaires autour de ce concept polysémique, les modèles d’élaboration de sens, les enjeux du développement de sens, pour conclure avec une vision panoramique et sociétale de la question.

Trois éléments particulièrement méritant parmi cette matière dense peuvent être mis en exergue :

  • Tout d’abord, l’importance de questionner les évènements de vie les plus significatifs pour préserver sa santé mentale et tendre vers le bonheur (Schmid, 2014). En effet, les nombreuses recherches portant sur le sens et la santé mentale tendent à confirmer que la présence d’un niveau de sens donné à la vie permet de se défaire d’un sentiment de vide existentiel (Steger et al. ; 2006, Steger et al., 2008 ; Schnell, 2009).
  • Ensuite, parmi les propositions et modèles intégrés de constructions de sens, le modèle proposé par Reker et Wong (1988) et Wong (2012) se révèle très éclairant. Il est constitué de trois dimensions : cognitive (i.e., la compréhension du sens donné à sa vie), motivationnelle (i.e., la recherche d’un but à atteindre) et affective (i.e., le sentiment de satisfaction et d’accomplissement de sa vie).
  • Le modèle PURE de Wong (2012) mérite également une attention particulière. Il est constitué de quatre composantes : avoir des buts (P) qui fait référence à la composante motivationnelle, la compréhension (U) qui fait référence à la composante cognitive, agir de manière responsable (R) qui fait référence à la composante comportementale, et enfin l’évaluation (E) qui renvoie à la composante de satisfaction dans la vie.

Les lecteurs sont ensuite invités, en deuxième partie, à adopter le regard du praticien d’accompagnement psychologique, pour découvrir comment développer le sens par la mise en place d’un dispositif « Sens de la vie et sens du travail ». Le dispositif est décrit en termes de format et de modalités, en termes d’outils et d’étapes, au moyen d’un focus sur chacun de ses sept modules et leur mise en miroir avec les fondements théoriques.

  • Le premier module intitulé « Théories implicites du sens » présente le cadre et invite le bénéficiaire à une première réflexion écrite sur le sens de la vie et le sens du travail.
  • Le deuxième module intitulé « Analyse des valeurs » invite le bénéficiaire à un questionnement sur les valeurs existentielles qui aiguillent ses actions personnelles et professionnelles.
  • Le troisième module intitulé « Analyses des modèles et des parcours de vie » est une invitation par le biais de l’esthétique − œuvres littéraires, artistiques, cinématographiques, etc. − à se décentrer de soi, de ses expériences de vie. Ces matériaux offrent au bénéficiaire un panorama des problématiques existentielles et des stratégies de contournements adoptées par des personnages de fiction.
  • Le quatrième module intitulé « Rapport au travail » invite le bénéficiaire à questionner ses valeurs au travail et les significations données au mot travail. Ce module conduit le bénéficiaire à penser le mouvement permanent qui lie la sphère du travail et la sphère de vie prise dans sa globalité.
  • Dans le cinquième module intitulé « Autobiographie des scénarios de vie personnelle et professionnelle future », les bénéficiaires imaginent deux trames de vie professionnelle et personnelle pour les prochaines années, élaborant une réflexion autour de chaque scénario. L’objectif est ici de permettre aux bénéficiaires de se projeter dans une mise en action.
  • Le sixième module intitulé « Développement de l’art de vivre » invite chaque bénéficiaire à dégager plusieurs axes de travail personnel autour de leur qualité de vie et d’une forme de développement spirituel. À ce stade, il entre dans la réalisation d’une action au présent, quotidienne, en accord avec lui-même, consignée durant deux semaines.
  • Enfin, le septième et dernier module intitulé « Une vision 360° du sens de la vie et du travail » constitue un bilan du vécu du ou de la bénéficiaire et de son élaboration de sens tout au long du dispositif, s’ouvrant sur les perspectives d’avenir.

Désireux d’illustrer le dispositif et le propos, les auteurs concluent cette deuxième partie en accordant une large place à l’étude d’un cas d’accompagnement psychologique individuel. Qu’est-ce qui a motivé la démarche ? Où se situait la bénéficiaire en amont du dispositif ? Comment se sont passées les séances ? Quels exercices ont pu provoquer des prises de conscience, des élaborations de pensée et de sens ? Où se situait le bénéficiaire à l’issue du dispositif – et comment entendait-il poursuivre le travail entrepris ? Le livre inclut également dix pages de références bibliographiques fort utiles pour approfondir la thématique. Un accès numérique sur le site compagnon des Éditions Dunod est également possible avec la possibilité de télécharger dans son intégralité le carnet de bord utilisé par les accompagnateurs du dispositif « Sens de la vie et sens du travail ». Un des objectifs poursuivis est ici d’outiller de futurs praticiens par de la méthode liée à de la connaissance. Les professionnels de l’orientation pourront ainsi acquérir un premier niveau d’équipement et d’autonomie dans une pratique de l’accompagnement au sens.

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#recension

Recension de « Coaching existentiel. Accompagner la recherche de sens au travail » de Omid Kohneh-Chahri (Dunod, 2020) | Mathilde Moisseron-Baudé

Rien ne prédisposait Omid Kohneh-Chahri, l’auteur de « Coaching existentiel. Accompagner la recherche de sens au travail », au métier de coach professionnel et plus précisément, celui tourné vers le coaching existentiel. Diplômé d’une maîtrise de physique, ingénieur dans le domaine informatique, il entreprend après plusieurs années d’expérience des transitions/reconversions professionnelles pour trouver sa « voie ». Il décide, in fine, de se consacrer aux autres en obtenant notamment le titre de professeur de yoga et en mettant à profit son cheminement réflexif et introspectif au service de l’accompagnement des dirigeants et des particuliers pour les aider à se révéler à eux-mêmes dans leur vie personnelle comme professionnelle et à penser leurs priorités pour entrevoir une vie plus harmonieuse.

Proposé aux lecteurs en huit chapitres, l’ouvrage est un outil de travail que l’auteur a façonné à travers ses propres expériences professionnelles avec ses clients au fil du temps. Il repose davantage sur des savoir-faire et des savoir-être, qui font écho à la discipline pragmatique qu’est le coaching, que sur un savoir théorique existentiel étayé. Son objectif est de partager une méthode de travail et des techniques en soutenant une vision ternaire et éclectique du coaching existentiel. Il y allie en effet, (i) le coaching influencé par le courant humaniste-rogérien (Rogers, 1968/2018), (ii) des thérapies existentielles telles que la thérapie existentielle de Yalom (2017) et la logothérapie de Frankl (2009, 2013) ainsi que, (iii) des méthodes psychocorporelles, incluant le yoga ou encore la méditation de pleine conscience. L’auteur tire la légitimité de l’écriture de ce livre de l’expérience professionnelle acquise ces dix dernières années, laquelle lui a permis d’éprouver ses outils, et du plébiscite de ses pairs, convaincus après les avoir testés auprès de leurs clients. Aussi s’adresse-t-il, en cœur de cible, avant tout aux professionnels de l’accompagnement en développement personnel et professionnel ainsi qu’aux métiers du conseil, des ressources humaines puis, plus largement, à tous les particuliers qui aspirent à trouver une meilleure conciliation entre leur mode de vie personnel, professionnel et leur véritable valeur.

L’approche existentielle, choisie par l’auteur, pour du coaching, est indéniablement en résonance avec l’ère de la société post-moderne du XXIème siècle dans laquelle nous vivons. Traversée par des crises, des transformations sociétales et environnementales, la société opère, en chacun dans son développement individuel, une révolution profonde de « l’être ». L’auteur le constate au quotidien dans sa pratique et oriente son travail de coach en conséquence afin d’aider ses clients à trouver leur juste place dans le monde professionnel. Il se saisit, dans son premier chapitre, des enjeux existentiels contemporains en dressant une liste de facteurs, non exhaustifs, qu’il considère comme contribuant à la perte de sens, à la perte de repères dans nos vies. Preuve de l’intérêt grandissant de cette approche, au moment de la rédaction de cette recension, paraissait dans le numéro de Psychologies magazine du mois de novembre 2021 (n°427) un dossier spécial consacré à « Plus de sens et de plaisir – Les clés de la psychologie existentielle » où il émerge aujourd’hui « un sentiment individuel et collectif nouveau, celui d’une urgence à trouver du sens à sa vie » (Psychologies magazine, 2021, p. 44). Si, étrangement, cette préoccupation semble récente en France, elle est en revanche développée dans d’autres pays dans le milieu de la recherche scientifique, depuis les travaux fondateurs sur la psychologie existentielle de May (1958). Elle a pris son essor, en France, depuis deux dernières décennies (Arnoux-Nicolas, 2019 ; Bernaud, 2018, 2021).

Dans le deuxième chapitre, l’auteur prend le parti pris de présenter les fondements du coaching existentiel sous le prisme essentiellement de trois référents, à savoir Irvin David Yalom, professeur américain émérite en psychiatrie, existentialiste et psychothérapeute, Viktor Frankl, professeur autrichien de neurologie et de psychiatrie, créateur de la logothérapie, et Dominique Lussan, française, professeur de yoga et présidente fondatrice d’un centre de recherche et de développement sur les états de la conscience et la création de valeur globale. Au-delà de la vision réductrice et limitative de ce cadre, il manque aux lecteurs une justification argumentée de ce choix pour permettre d’en apprécier la pertinence. Si les deux premiers référents portent des thérapies existentielles bien référencées sur le plan international, l’association avec le troisième référent est moins évidente et reste à clarifier. Cette démarche, nécessaire, est importante à prendre en considération si, comme le souhaite l’auteur, l’intention est d’ancrer cette pratique professionnelle de manière pérenne dans un univers de référence donné. D’autant qu’il se développe d’autres pratiques, utilisant d’autres formulations, qui pourraient créer de la confusion dans les esprits autour du coaching de vie (Cluzel et al., 2019 ; Jarosz, 2016 ; Terrisse, 2019) ou encore, du coaching existentiel transformateur (Lefdahl et al., 2018 ; van Deurzen & van Deurzen-Smith, 2018). Ce chapitre enfin, est l’occasion pour l’auteur de proposer un nouveau modèle qu’il considère être « le fil rouge de la découverte du sens ». Ce modèle repose sur trois niveaux logiques de sens à savoir, (i) les manifestations de notre être (nos élans, ce qui nous rend vivant, nos essences), (ii) les contributions au monde (notre utilité, ce qu’on donne et apporte aux autres) et (iii) le territoire social (la place choisie, notre domaine d’activité, notre environnement de travail). Malgré le soin qu’il apporte à expliciter ces trois éléments à travers notamment des exemples, un approfondissement des cadres conceptuels et une critique nuancée permettraient aux lecteurs d’entrevoir les potentialités offertes par ce modèle afin de se l’approprier.

Le troisième chapitre traite de la posture du coach existentiel et de ses zones d’intervention selon les représentations qu’en a l’auteur. Par une énumération structurée de conseils, l’auteur vise une posture équilibrée et réflexive pour évoluer vers l’objectif du client et impulser sa transformation. Il propose une « carte » ou une grille de lecture pour mieux appréhender le « territoire existentiel » et les difficultés des clients. Il la nomme à l’aide des quatre dimensions, SPEA : Sens, Projet de vie, Engagement décisions et passage à l’Action. Cette carte n’a pas pour vocation à être une méthode reproductible de manière immuable pour chaque client mais davantage un outil pratique pour le coach afin de l’aider à déterminer les zones d’intervention prioritaires dans l’accompagnement de son client.

Les chapitres qui suivent, du quatrième au septième, explicitent chaque dimension de la carte en y associant pléthore d’outils visant à affiner, éclaircir, in fine, le modèle des trois niveaux logiques de sens du client. Régulièrement, des encadrés jalonnent la lecture permettant de relier le thème traité à des compléments d’ouvrages, à des conseils et recommandations destinés autant aux lecteurs qu’à ceux prenant en charge les individus. Cette partie de l’ouvrage s’assimile davantage à un assemblage de techniques empruntées à diverses disciplines. Des concepts sont mis bout à bout constituant, certes, des éléments encourageants pour le développement des interventions en coaching existentiel car reconnus individuellement pour leur efficacité clinique, mais le lecteur peut s’interroger sur la cohérence, la pertinence et l’efficacité de ces concepts agglomérés au fil du temps et n’ayant pas été éprouvés scientifiquement dans une démarche d’intervention globale. 

Enfin, le huitième et dernier chapitre expose brièvement une étude de cas réel de coaching existentiel. Il aurait été valorisant d’apporter des éléments descriptifs sur chaque séance en précisant par exemple, l’objectif visé, son contenu et son organisation ainsi que les processus et effets observés. Cette rigueur aurait permis d’apprécier à sa juste valeur la qualité de l’accompagnement par le coach et le développement personnel et professionnel du client.   La psychologie existentielle offre véritablement un large champ de potentialités pour explorer les dilemmes de vie des êtres humains, pour comprendre leur rapport au monde, pour les accompagner à se révéler à soi-même et contribuer ainsi, plus globalement, à maintenir l’équilibre dans le monde (Heidegger, 1927/1986 ; Jacobsen, 2007). Cette approche est, incontestablement, stimulante pour l’esprit. Elle doit s’évertuer, dans les prochaines décennies, à acquérir une meilleure assise dans le domaine de la recherche scientifique pour favoriser le développement de pratiques professionnelles qui puissent s’appuyer sur des cadres théoriques, méthodologiques et des techniques validés tant sur le plan scientifique qu’académique. Le coaching existentiel s’inscrit dans l’évolution des pratiques d’intervention et de conseil prenant en compte le rapport existentiel. Il gagnera en qualité et pertinence en s’enrichissant notamment de cadres de référence solides, évitant les agglomérats d’outils mis bout à bout et une frêle bibliographie. Cette ouverture holistique pour travailler l’orientation professionnelle de l’individu semble très prometteuse comme le démontre cet ouvrage et incite à poursuivre dans ce sens pour profiter de son rayonnement.

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#recension

Recension de « Meaning in life: An evidence-based handbook for practitionners » de Joel Vos (Palgrave, 2018) | Laurent Sovet

Au cours de ces dernières décennies, les ouvrages et les articles portant sur la psychologie du sens se sont démultipliés et témoignent d’une volonté manifeste d’y apporter des bases scientifiques (Sovet & Bernaud, 2019) et de promouvoir des pratiques fondées sur les preuves (Bernaud & Sovet, 2019). Le livre intitulé « Meaning in life: An evidence-based handbook for practitionners » (« Sens dans la vie : Un manuel fondé sur les preuves à l’intention des praticien·ne·s », traduction personnelle en français) s’inscrit exactement dans cette perspective. Son auteur, Joel Vos, est fortement engagé dans l’élaboration et l’évaluation de thérapies et psychothérapies existentielles, et la formation des praticien·ne·s (i.e., psychologues, thérapeutes, psychothérapeutes) dans le développement de leurs compétences professionnelles. Ses nombreuses publications scientifiques permettent de saisir toute l’importance de sa contribution au champ de la psychologie existentielle. En l’occurrence, il a publié de nombreuses méta-analyses et revues systématiques de la revue sur l’efficacité des pratiques centrées sur le sens (Vos, 2016 ; Vos et al., 2015 ; Vos & Vitali, 2018). Cet ouvrage rassemble et met en dialogue les principaux enseignements de ses recherches, de ses pratiques professionnelles, de ses supervisions de groupe et de ses formations dans un format qui se veut accessible aux praticien·ne·s et à la communauté scientifique s’inscrivant dans une perspective existentielle. Dans le champ de psychologie, il rappelle dès les premières pages et à différents endroits du texte toute l’importance de se concentrer sur l’expérience subjective du sens plutôt que de vouloir imposer une vision du monde ou un sens ultime aux personnes qui peuvent bénéficier d’un accompagnement au sens.

La première partie porte sur les fondements scientifiques du sens dans la vie et se divise en quatre chapitres. Elle débute par un exposé des conceptions théologiques et philosophiques dans les sociétés occidentales et non occidentales (Chapitre 1 et Chapitre 2) avant d’aborder les approches psychologiques contemporaines du sens dans la vie (Chapitre 3). Nous pouvons notamment y retrouver la distinction entre sens dans la vie (meaning in life) et sens de la vie (meaning of life) en s’appuyant sur les travaux scientifiques les plus récents. Le Chapitre 4 porte plus spécifiquement sur les pratiques centrées sur le sens en abordant les évolutions et les innovations d’un point de vue historique. L’auteur offre également un aperçu général de l’efficacité des interventions en soulignant l’importance des compétences professionnelles et de la formation des praticien·ne·s comme ingrédients critiques à leur réussite.

La deuxième partie se centre sur une présentation détaillée de 39 compétences professionnelles mobilisées par les praticien·ne·s dans la mise en œuvre d’interventions centrées sur le sens. Elles ont été identifiées à partir d’une méta-analyse qui explorait l’efficacité de 60 essais cliniques (Vos, 2016). Une taxonomie en cinq grandes catégories a été proposée à raison d’un chapitre par catégorie. Elles incluent des compétences relatives à (1) l’évaluation, (2) la compréhension théorique et pratique du concept de sens, (3) la qualité de la relation et la dynamique des échanges, (4) l’analyse de l’histoire de vie et de l’expérience phénoménologique et (5) la connaissance des thèmes existentiels et leur importance dans l’expérience humaine. Il est à noter que l’auteur a récemment proposé un modèle en 13 grandes catégories basées sur la classification de 476 compétences (Vos, 2021). Il rappelle la nécessité de concevoir un référentiel de compétences qui facilite la mise en place de formations visant à développer et renforcer les compétences professionnelles. Ce positionnement reflète assez bien sa posture translationnelle et son engagement envers un dialogue dynamique entre recherche, pratique et formation.

La troisième partie présente une intervention centrée sur le sens à destination de personnes souffrant de maladie chronique ou de maladie grave mortelle en vue de leur apporter un soutien psychologique, et de mieux vivre leur existence malgré la situation. Cette intervention se décompose en dix séances avec un chapitre dédié à chaque séance. Ces chapitres suivent une structure similaire en détaillant les objectifs, les postures à privilégier ainsi que les exercices à réaliser avant, pendant et après la séance. Des temps indicatifs sont même parfois indiqués pour certaines étapes. Plusieurs outils d’évaluation utilisés durant cette intervention sont fournis dans les annexes de l’ouvrage.

En complément, il est possible de souligner la dimension pédagogique et réflexive de l’ouvrage. L’auteur y évoque plusieurs anecdotes personnelles – et notamment l’importance dans sa vie de s’impliquer dans l’écriture et des projets créatifs – et des récits de ses pratiques professionnelles. Des exemples et des études de cas sont régulièrement présentés sous la forme d’encadrés. Enfin, chaque chapitre se termine par une série d’exercices – qui invitent souvent le lectorat à s’emparer des concepts pour interroger le sens de ses expériences et de son existence – et un résumé des points essentiels à retenir. Ce format permet une lecture à différents niveaux et une mise en perspective des éléments abordés. En somme, cette lecture translationnelle entre recherches et pratiques est plutôt réussie. Elle offre aux praticien·ne·s la possibilité d’appréhender les interventions centrées sur le sens avec un regard critique et éclairé. Il est possible de rendre plus intelligibles de telles pratiques professionnelles et d’en évaluer l’impact sur les personnes qui en bénéficient (Arnoux-Nicolas et al., 2018 ; Bernaud et al., 2020). Le contexte actuel est particulièrement propice aux questionnements existentiels. En l’occurrence, la crise sanitaire peut se traduire par des réflexions profondes sur le sens de son existence et de ses priorités de vie (de Jong et al., 2020 ; Ekwonye & Truong, 2022). Cela appelle à proposer urgemment de nouveaux dispositifs et à promouvoir de bonnes pratiques pour accompagner les personnes en quête de sens et ainsi les aider à trouver leurs repères et à dépasser leurs difficultés.

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#recension

Postface : Sens et bonheur face à l’absurdité du malheur | Christian Heslon

Le texte qui suit a pour l’essentiel été élaboré avant que ne gronde la guerre en Ukraine. Depuis lors, ce septième volume de Sciences & Bonheur intitulé « Sens et bonheur : Regards pluriels sur deux concepts en débat », résonne étrangement : s’il n’est ni sûr que le sens soit condition du bonheur, ni que le bonheur donne du sens à l’existence, il est en revanche certain que la guerre conjugue les deux antonymes du sens et du bonheur : elle n’est que malheur absurde. Nous nous serions pourtant tellement volontiers passés de cette démonstration du fait que, si les liens entre sens et bonheur sont diffus, le non-sens et l’absurde conduisent nécessairement au malheur …

1. Sens et bonheur, deux notions aux destins contrastés

Cette nouvelle livraison de la revue Sciences & Bonheur met au regard l’une de l’autre deux notions à l’actualité paradoxale : le « sens » et le « bonheur ». En effet, l’actuel succès du « sens » ne fait aucun doute, au point qu’il mérite d’être interrogé. Quant au « bonheur », il fait l’objet d’une vive ambivalence, notamment en France, ainsi que l’a montré Gaël Brulé (2020). Dès lors, conjoindre sens et bonheur confine autant à l’aporie qu’à l’oxymore. D’un côté, l’intuition commune voudrait sans doute que le fait de vivre des choses qui « ont du sens » contribue au bonheur, voire en procure. De l’autre, la recherche métaphysique de sens (sens de la vie / sens de sa vie ; sens du travail / sens au travail) risque fort de faire sombrer dans des abymes existentiels fort éloignés du bonheur, voire dans cet « anéantissement » de soi qui caractérise à certains égards notre époque et que Michel Houellebecq (2022) vient de dépeindre avec l’habituelle finesse ironique qui sert d’encre à sa plume. On sait d’ailleurs, depuis Jean-Paul Sartre (1943), que le néant constitue simultanément la condition et la négation de l’être.

Deux traditions s’opposent ici en psychologie : la tragique et la pragmatique. La première de ces traditions psychologique, que j’appelle tragique, s’enracine dans la philosophie classique, particulièrement allemande et, bien entendu, dans la psychanalyse freudienne. La seconde tradition, celle de la psychologie pragmatique, s’enracine dans la tradition plutôt nord-américaine, notamment initiée par William James à l’époque où Sigmund Freud fondait la psychanalyse. Sans retracer ici les diverses filiations et les multiples cousinages auxquels ces deux branches de la psychologie ont donné lieu en 130 ans, contentons-nous de remarquer que l’actuel regain de la psychologie existentielle articule ces deux traditions, quand la psychologie positive fait du bonheur non seulement un objet d’étude, mais encore un but louable, là où, au contraire, certains courants de la psychologie sociale s’en défient – ou le considèrent comme une représentation sociale. Voilà d’ailleurs le pari de Sciences & Bonheur, première revue francophone consacrée à l’approche scientifique du bonheur, dans un espace linguistique où il a moins bonne presse que dans l’anglo-saxon, selon une approche tirée de recherches et de travaux réflexifs, mais aussi expérimentaux et cliniques, qui ont pour partie l’habitude de considérer ce thème avec circonspection. Le bonheur apparaît en effet mal objectivable, flou, voire quelque peu vulgaire, banal, trop convenu pour être honnête, contrairement au « bien-être », notion mieux décrite, évaluée et objectivée par de nombreuses publications internationales qui tendent à faire consensus.

Et voici donc que cet objet suspect, en tout cas insuffisamment noble pour mériter un traitement scientifique, est ici croisé avec la notion de « sens » ! Cette relation ressemble à ces « allant de soi » hier pourfendus par les ethno-méthodologues : le bonheur passerait évidemment par le sentiment que les choses ont du sens. Mais, je viens de l’indiquer, la recherche de sens peut aussi conduire à la quête insatiable, à l’obsession, à l’angoisse, bref, à tout ce qui s’oppose au bonheur. J’ajouterais que si l’absurdité de la guerre est source de malheur, toute une partie de la tradition pragmatique en psychologie découle de l’absolue absurdité du malheur de la guerre, notamment celle que l’on nomme encore la « seconde » guerre mondiale – postulant qu’il n’y en aura pas de troisième – plus précisément des camps d’extermination nazis. Ainsi de la plupart des modèles et concepts les plus véhiculés par la psychologie existentielle et une partie de la psychologie positive, à commencer par la logothérapie de Viktor E. Frankl, dont on sait qu’il la déduisit de sa propre expérience d’Auschwitz : ceux qui, comme lui, y survécurent avaient développé leur vie intérieure et leur capacité à trouver du sens malgré l’horreur absurde dans laquelle ils étaient jetés. De même, les concepts de résilience et de coping résultent de chercheurs marqués par la Shoah, dans leur propre vie ou celle de leurs familles.

Or c’est 60 ans après la Shoah que la notion de sens connaît à nouveau un grand succès, bien au-delà de ses disciplines d’origine que sont la philosophie, la linguistique et la sémiologie. Aux débuts des années 2000 en effet, apparaissent d’une part la quête spirituelle devant le matérialisme triomphant du capitalisme de consommation, d’autre part les interrogations existentielles sur le sens d’une vie vouée à un travail souvent insatisfaisant au sein d’un Monde menacé d’effondrement écologique et géopolitique. En résulte le grand succès et l’intensification des publications scientifiques sur le sens, dont trois font précisément l’objet des recensions d’ouvrages réunies dans ce septième volume de Sciences & Bonheur. Celle de Nadia Baatouche est consacrée à la deuxième édition de l’ouvrage « Psychologie de l’accompagnement. Concepts et outils pour développer le sens de la vie » (Bernaud et al., 2020). Cette nouvelle édition, révisée et enrichie par rapport à la première, présente une méthode d’accompagnement psychologique visant à développer le sens de la vie et du travail, voire de la vie au travail, après avoir fourni nombre de repères théoriques sur ces notions.

La recension rédigée par Mathilde Moisseron-Baudé concerne l’ouvrage « Coaching existentiel. Accompagner la recherche de sens au travail » (Omid Khoneh-Chari, 2020). Ce livre débusque les problématiques » existentielles qui se logent dans les questionnements professionnels et propose une forme adéquate de coaching. La troisième recension due à Laurent Sovet présente « Meaning in life: An evidence-based handbook for practitioners » (Vos, 2018). Ce manuel explore le vaste champ des thérapies d’orientation existentielle. Ces trois recensions centrées sur le sens illustrent l’engouement dont cette notion, à peu près réservée voici vingt ans aux philosophes, linguistes et sémiologues, fait désormais l’objet, puisque chacun des trois ouvrages ici recensés comporte à chaque fois une importante bibliographie francophone et anglophone récente. Rien à voir avec la réserve prudente, quand ce n’est pas la méfiance, qui entoure encore les trop rares publications francophones sur le bonheur en sciences humaines et sociales.

2. Interroger le sens pour interroger le bonheur

Partant, n’est-il pas pertinent d’interroger ce succès du sens en même temps que l’insuccès du bonheur ? Si les travaux sur le sens, dans ses trois dimensions (signification, direction, sensation) sont pléthore, n’est-ce pas par un effet de mode auquel la présente revue, pourtant centrée sur le bonheur qui est tellement encore parent pauvre des sciences humaines et sociales, vient elle-même de sacrifier ? S’il est certain que les gens s’interrogent sur le sens de ce qu’ils vivent ou font, il n’est pas moins patent qu’ils cherchent surtout à être heureux – sans toujours savoir s’y prendre. Et si les chercheurs avaient eux-mêmes contribué à fabriquer cette quête de sens ? Si l’engouement récent pour le sens résultait au moins pour partie de la déshérence dans laquelle évoluent les universitaires, intellectuels et penseurs ? Il importe en tout cas d’esquisser une critique de ce concept de sens qui, à force d’être englobant, perd parfois de son acuité.

C’est ainsi que Jean-Pierre Boutinet (2018) rappelle, en une sorte de prolongement de la « déconstruction » de Jacques Derrida, l’instabilité du sens du fait des quatre caractéristiques de toute recherche de sens, par nature toujours singulière, provisoire, partielle et plurielle. Recherche singulière, car « propre à un individu, un groupe ou une collectivité donnée et tributaire de l’histoire de cet individu ou de ce groupe » (Boutinet, 2018, p. 3). Recherche provisoire au sens où Deleuze définissait la recherche de sens comme « une régression infinie qui se nourrit d’un rapport intrinsèque entre le sens et le non-sens » (Boutinet, 2018, p. 4). Recherche « destinée à demeurer partielle, voire fragmentée, si tant est […] que le monde est à jamais insaisissable dans sa profondeur abyssale » (Boutinet, 2018, p. 4). Recherche plurielle, enfin, car « bien que singulière, [elle] se veut plurielle, tant le terme sens est polysémique depuis ses lointaines origines étymologiques puisées dans l’ancien français médiéval (Boutinet, 2018, p. 4).

Autrement dit, le sens fait toujours défaut car il se dérobe dès lors que l’on croit l’avoir trouvé, un peu à la manière dont Lacan suggère que l’objet cause du désir n’est jamais pleinement atteint, que le désir manque toujours son but et que ce manque est source du désir. Le sens est-il alors autre chose que sa quête même, c’est-à-dire l’une des expressions du désir ? Boutinet amplifie alors les modèles habituels du sens qui comportent, comme je l’ai rappelé plus haut, trois dimensions, à savoir la direction, la signification et la sensibilité-sensorialité – cette polysémie étant d’ailleurs restreinte par le terme anglais de meaning, qui souligne surtout la signification, quand le sense renvoie aux sensations et qu’aucun de ces deux mots n’évoquent la direction. Toujours est-il que Jean-Pierre Boutinet distingue (2018, p. 14), à partir de la métaphore de l’embarcation dans un projet :

  • le sens-orientation, soit la proue de l’embarcation et son cap. C’est la direction que le sujet donne à sa vie, le sens vers lequel il dirige son projet. Je distingue à mon tour cinq manières de se déplacer vers une direction, cinq types de trajets possibles pour un projet : la trajectoire du « projet sur », le parcours du « projet pour », l’itinéraire du « projet de », le cheminement du « projet avec » et le combat, dans le cas du « projet contre » (Heslon, 2021, p. 205) ;
  • le sens-sensorialité, soit la poupe de l’embarcation et les traces qu’elle laisse dans son sillage (les cinq sens sont traces olfactives, auditives, visuelles, tactiles et gustatives, ainsi que l’illustre la célèbre madeleine de Proust) ;
  • le sens-justification, situé à la quille de l’embarcation qui lui permet de se stabiliser, de bifurquer, de s’équilibrer par un ancrage dans des motivations consistantes (la justification correspondant aux significations que le sujet attribue à son action) ;
  • le sens-interaction, soit les significations qui découlent de la rencontre et de la confrontation avec les personnes significatives, ici l’équipage et les passagers (parfois clandestins) croisés sur le pont de l’embarcation – ce qui permet de distinguer les deux versants de la signification : celle issue de la réflexivité intra-personnelle (le sens que le sujet donne à son action) et celle résultant de l’échange dialogique interpersonnel (le sens de l’action qui découle du dialogue – ou de l’incommunicabilité – avec autrui). Jean Guichard (2004) nomme « réflexivité duelle » la réflexivité intra-personnelle (le sujet (se) réfléchit) et « réflexivité ternaire » l’échange dialogique interpersonnel (le sujet, autrui et la réflexion produite par l’un chez l’autre);
  • le sens-sensibilité, enfin, désigne ce qui se joue au niveau du mât, des voiles et du vent qui pousse ou freine l’embarcation dans un projet : le navigateur y puisera des informations l’invitant à maintenir ou corriger le cap (sens-orientation), à y relire les informations fournies par le sens-sensorialité, à revisiter le sens-justification qui sert de quille à son esquif, à transiger aussi, avec lui-même et autrui, en fonction du sens-interaction tel qu’il évolue au gré de ses interactions avec les personnes significatives qui l’entourent en cette navigation subtile qui est l’odyssée de tout un chacun.

3. Quelles connivences entre sens et bonheur ?

Cette modélisation du caractère fluctuant de toute recherche de sens, insaisissable autrement que dans son mouvement sur les flots capricieux de la vie, rappelle le fameux fluctuat nec mergitur des latins : flotter sans sombrer. Elle est aussi l’occasion de rappeler que l’étymologie de l’opportunité, ob-portus, désigne le vent propice qui ramène au port, quand celle de la précarité, precarius, « obtenu par la prière », indique une situation de naufrage dans laquelle il ne reste plus qu’à s’en remettre à la puissance divine (Heslon, 2008). Devant ce caractère précaire et, pour tout dire, transitoire de tout sens (transire veut dire « mourir »), l’intelligibilité critique des cinq sens du sens (orientation, sensorialité, justification, interaction et sensibilité) renseigne déjà à deux égards. D’abord sur les significations de l’actuel besoin de sens – et ses limites. Ensuite, sur les connivences possibles mais incertaines entre sens et bonheur qu’explore ce n° 7 de Sciences & Bonheur – quand les connivences entre non-sens et malheur paraissent à l’inverse mieux établies…

Commençons par le besoin de sens. Ce besoin résulte certes de ce que Jean-François Lyotard (1979) nomma la « fin des grands récits de la modernité » (la science, le progrès, les Lumières, etc.), dès lors que ces récits échouèrent à se substituer aux grands récits antérieurs que fournissaient les traditions, les mythologies et les religions. Mais ce besoin et cette quête de sens qui envahit notre modernité tardive résulte aussi de l’attractif sentiment de découverte que procure le séduisant concept de sens aux chercheurs en sciences humaines et sociales, souvent éloignés quand ce n’est pas ignorants, de la philosophie et de l’anthropologie – dont je ne suis pas non plus grand spécialiste. Ainsi, si ce concept de sens apparaît comme une réponse englobante prometteuse, c’est souvent faute de n’en avoir pas opéré la déconstruction critique – dont je viens de proposer l’une des modalités possibles, qui reste certes à approfondir, critiquer, contester ou documenter. Bref, le besoin et la quête de sens nécessitent d’étayer sa modélisation au regard des vies plurielles et fluctuantes qui sont celles des adultes contemporains. Entre pandémie mondiale et menace de guerre planétaire, nous sommes désormais servis ! Sans oublier les crises existentielles ou identitaires qui fragilisent de longue date les avancées en âge adulte, tant du point de vue psycho-affectif (couple, famille, deuils, traumatismes) que psychosocial (études, travail, retraite). Alors oui, l’intelligibilité des différentes dimensions et fonctions du sens peuvent s’avérer utiles à se maintenir à flot face aux tempêtes de nos vies d’aujourd’hui. Fluctuat nec mergitur.

Cependant, se maintenir simplement à flot, c’est-à-dire échapper au malheur, survivre au transitoire, sortir du précaire et saisir le sens de l’opportunité ne suffit pas au bonheur. Car le bonheur n’est ni la sortie du malheur, ni son absence. C’est une sensation, presque une sensualité, cette sixième déclinaison du sens associée aux cinq autres que je viens de décrire : l’orientation, la sensorialité, la justification, l’interaction et la sensibilité. C’est ainsi que nous en arrivons aux connivences plausibles quoiqu’incertaines entre « sens » et « bonheur », telles que ce septième volume de Sciences & Bonheur les explore.

C’est tout d’abord Samia Ben Youssef Mnif qui explore les convergences et divergences des conceptions culturelles occidentale et arabo-musulmane du bonheur. C’est ensuite Marie-Pierre Demon Feuvrier qui présente un modèle intégratif du bonheur permettant d’en mieux saisir le sens. Stéphane Bozon et Shékina Rochat présentent la logique « effectuale » pouvant redonner du sens aux carrières individuelles et à la vie sur Terre tout en tendant vers un certain bonheur. C’est enfin Shékina Rochat et Caroline Arnoux-Nicolas qui montrent les perspectives ouvertes par l’approche ludique, permettant à la fois de développer du sens et, au moins dans certains cas, du bonheur. Si ce panorama n’est pas exhaustif, il est assez complet, donnant déjà grandement à penser les connivences entre sens et bonheur :

  • en premier lieu, quel(s) sens donne-t-on au bonheur ? Quelles sont les perceptions sensibles qui l’identifient et les sensations qu’il procure, quelles sont ses différentes significations selon les approches et les cultures, vers quelles directions oriente-t-il les actions, mais aussi les personnes et les groupes ?
  • en second lieu, en quoi les pratiques guidées par le sens contribuent-elles au bonheur et comment, symétriquement, le sentiment de bord éclaire-t-il sous un nouveau jour le sens de la vie, celui des actions menées ou des projets échafaudés ?

4. Conclusion

Tout un programme, donc ! D’autant plus nécessaire et précieux qu’il est le seul dont je dispose, depuis les fragiles menées de la psychologie universitaire où je me tiens, pour contrarier l’absurde malheur de la guerre qui gronde…

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#kaleidoscope

Introduction au numéro thématique « Bien-être des enfants : Définitions, évaluations et interventions » / Laurent Sovet et Agnès Florin

Introduction to the theme issue « Child Well-Being: Definitions, assessments, and interventions »

Le bien-être des enfants dans leurs différents contextes de vie constitue un sujet de préoccupation important dans nos sociétés contemporaines et notamment auprès de la communauté scientifique, des pouvoirs publics et des organisations internationales. Loin d’être un sujet nouveau ou à la mode, le bien-être des enfants s’inscrit dans une évolution socio-historique qui a connu une accélération au cours du XXème siècle à travers le mouvement de la promotion des indicateurs sociaux qui apparaît dans les années 1960 et la ratification de la déclaration de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) par 195 pays en 1989 (Ben-Arieh, 2008 ; Martin et al., 2019 ; Sandin, 2014). Les conceptualisations et le choix des indicateurs pour opérationnaliser et mesurer le bien-être des enfants ont été particulièrement débattus avec des difficultés à identifier des consensus (Pollard & Lee, 2003). Il y a aujourd’hui une vision partagée sur le fait que le bien-être des enfants doit s’appréhender à travers de multiples indicateurs (Amerijckx & Claire-Humblet, 2014 ; Ben-Arieh et al., 2014). En l’occurrence, des taxonomies organisées autour d’indicateurs d’ordre physique, psychologique, social, matériel et cognitif sont proposées pour en comprendre le dynamisme et la complexité (Amerijckx & Claire-Humblet, 2014 ; Gromada et al., 2020 ; Martin et al., 2019 ; Moore et al., 2012 ; Pollard & Lee, 2003). La définition proposée par Ben-Arieh et Frønes (2007, p. 1) rendre compte de ces différents enjeux :

« Le bien-être des enfants englobe la qualité de vie au sens large. Il renvoie à la situation économique de l’enfant, à ses relations avec ses pairs, à ses droits politiques et aux possibilités d’épanouissement qui s’offrent à lui. La plupart des études se concentrent sur certains aspects du bien-être des enfants soulignant souvent les variations d’ordre social et culturel. Par conséquent, si l’on veut saisir le bien-être dans sa globalité, il faut utiliser des indicateurs couvrant divers aspects de celui-ci. »

L’élaboration et les débats autour des cadres épistémologiques et méthodologiques pour définir et mesurer le bien-être des enfants, la démultiplication d’enquêtes et d’études nationales et internationales qui explorent le bien-être des enfants – dans sa variabilité et ses déterminants – à travers de nombreux indicateurs objectifs et subjectifs ou encore les interventions ou les politiques publiques visant à favoriser et promouvoir le bien-être de tous les enfants, notamment les enfants en situation de vulnérabilité, contribuent à l’avancement des connaissances et des pratiques sur le sujet. L’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OECD, 2009) rappelle également l’importance d’examiner le bien-être à toutes les périodes de l’enfance et à développer une vision sur le long terme pour construire un bien-être durable. La prise en compte du point de vue des enfants sur leur bien-être se révèle essentielle pour apporter une meilleure compréhension sur le sujet et proposer des interventions et mesures adaptées à leur situation (Florin, 2017 ; Rouyer et al., 2020).

La crise sanitaire de la Covid-19 s’est accompagnée de mesures de confinement et de modifications plus ou moins importantes dans la vie quotidienne des enfants et des adultes dont il est encore difficile d’en mesurer pleinement l’impact dans les trajectoires des enfants (Berasategi Sancho et al., 2021 ; Cowie & Myers, 2021 ; Patrick et al., 2020). Cette situation exceptionnelle rappelle que le bien-être des enfants doit s’explorer et se comprendre à la croisée de facteurs individuels et environnementaux et qu’il peut être amené à évoluer de manière très rapide dans des contextes marqués par le changement, l’imprévisibilité et la précarité. Il convient également d’évaluer les répercussions de la pandémie en interrogeant à court, moyen et long termes (OECD, 2021).

L’objectif de ce numéro thématique est de mettre en perspectives les débats contemporains autour du bien-être des enfants en rassemblant huit articles. Il s’inscrit dans le prolongement du colloque international et pluridisciplinaire organisé par le Centre de recherches en éducation de Nantes (CREN, EA2661) à l’Université de Nantes les 20 et 21 juin 2019 ayant pour titre : « Le monde des enfants et leur bien-être. Accompagner le développement de tous les enfants » et le séminaire de restitution de l’enquête mondiale Children’s World Survey portant sur le bien-être des enfants des enfants de 8 à 12 ans. De manière transversale, chaque contribution de ce numéro thématique se caractérise par une introduction visant à présenter les cadres épistémologiques mobilisés pour appréhender le bien-être des enfants. Trois axes tendent également à émerger.

Les trois premiers articles se caractérisent par des enquêtes nationales portant sur le bien-être des enfants même si elles se différencient sur les objectifs visés, la période de l’enfance concernée et le choix des indicateurs de bien-être. Laurent Sovet, Macarena-Paz Celume, Stéphanie Constans, Agnès Florin, Philippe Guimard, Nicolas Guirimand, Judikaëlle Jacquin et Isabelle Nocus (2021) présentent les résultats préliminaires d’une enquête menée auprès de 2 270 élèves en classe de CM2 en France dans le cadre de la troisième édition de l’enquête internationale Children’s World Survey. Les auteur·e·s décrivent de manière détaillée les cadres conceptuels et méthodologiques mobilisés pour concevoir l’enquête et recueillir les données. Gwyther Rees (2021) s’appuie sur l’étude de cohorte du millénaire (Millennium Cohort Study) au Royaume-Uni menée auprès de plus de 9 000 enfants âgés de 14 ans pour examiner les facteurs prédictifs du bien-être. Dans cette recherche, le bien-être est abordé comme un indicateur composite comprenant des mesures en lien avec le bien-être cognitif, le bien-être social et le bien-être psychologique. Enfin, Julia Buzaud, Kevin Diter, Agnès Grimault-Leprince et Claude Martin (2021) explorent les conséquences de la crise sanitaire sur le bien-être de plus de 500 lycéen·ne·s en France. Une attention particulière est portée sur le rôle des différences individuelles et notamment sur le sexe et le milieu social.

Les quatre articles suivants questionnent le bien-être dans des contextes de vulnérabilité à travers différentes périodes de la vie. Plus spécifiquement, Jérôme Francis Wandji K (2021) interroge les fondations du droit au bonheur chez l’enfant en Afrique. Il souligne les similitudes, contrastes et paradoxes qui existent entre les droits de l’enfant au niveau international et les droits de l’enfant au niveau des États africains face à un terme parfois mal identifié de « bonheur ». Joseph Bomda (2021) apporte une complémentarité à l’article précédent en interrogeant les représentations du bien-être des enfants chez des parents d’élèves au Cameroun. Il questionne également les rapports à l’école et le rôle des institutions scolaires dans le développement du bien-être des enfants. L’article suivant a été rédigé par Daniel Mellier, Anne Boissel, Nicolas Guénolé, Anne-Laure Poujol, Dominique Guédon et Régine Scelles (2021) et vise à mener une réflexion sur les pratiques d’évaluation du bien-être chez des enfants, adolescent·e·s et adultes de situation de polyhandicap. Le bien-être cognitif et le bien-être psychologique sont plus particulièrement évoqués. Enfin, Erero Njiengwe, Gilles Ndjomo et Odette N-Guifo (2021) abordent la situation des nouveaux-nés prématurés et l’impact de la Méthode Mère Kangourou sur leur prise en charge dans le contexte africain. Ici, il s’agit plutôt d’aborder le bien-être des enfants à travers des indicateurs d’ordre physique.

Enfin, le dernier article rédigé par Pascale Haag et Marlène Martin (2021) vise à discuter les principaux cadres théoriques pour penser et promouvoir le bien-être à l’école. Cette contribution met en dialogue les études scientifiques avec le contexte de la Lab School Paris, une école alternative fondée sur l’expérimentation pédagogique. En conclusion, ces articles apportent conjointement une illustration de l’étendue et de la diversité des définitions, des méthodes d’évaluation et des interventions autour du bien-être des enfants. La prise en compte de leur point de vue est souvent l’objet central pour conduire des études sur leur bien-être. Les discussions laissent entrevoir des pistes de recherche à poursuivre et invitent à une meilleure articulation entre recherches et pratiques et entre communauté scientifique et pouvoirs publics au service de tous les enfants et des adultes en devenir.

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