Viorica Dobrica-Tudor et Manon Théorêt. Le bien-être pédagogique chez les enseignants du secondaire

RÉSUMÉ

Le présent article tire son origine de notre recherche doctorale, qui s’intéresse aux relations entre les pratiques professionnelles réfléchies et le bien-être pédagogique chez les enseignants du secondaire. Tout au long de cet article nous nous penchons sur le bien-être pédagogique des enseignants, exploré par l’intermédiaire des réflexions des enseignants sur les interactions avec les élèves et les collaborations avec les collègues. Notre intérêt pour ce concept est lié à l’évolution continue du travail enseignant, dont les conséquences comptent, parmi d’autres, la complexification et l’alourdissement de la tâche.

Pour mettre en évidence comment les enseignants construisent leur bien-être pédagogique, nous faisons référence à l’analyse qualitative des données de notre recherche doctorale. Il s’agit d’une recherche exploratoire menée auprès de treize enseignants de la grande région de Montréal. En optant pour une approche sociocognitive, nous nous sommes penchées sur le concept de bien-être pédagogique des enseignants à partir de trois de ses dimensions : l’autoefficacité, l’engagement et la satisfaction au travail. Pour la collecte des données, nous avons fait appel à deux techniques : la technique Q et la technique de l’incident critique.

D’après l’ensemble de nos résultats, les interactions pédagogiques avec les élèves constitueraient la principale source de bien-être pédagogique. Ainsi, l’engagement des élèves dans l’apprentissage, le souci pour le bien-être de ceux-ci, la force de leurs compétences pédagogiques et les comportements qui produisent les résultats escomptés représentent autant des sources de bien-être chez les participants. Pour leur part, les relations de travail avec les collègues influenceraient positivement le bien-être pédagogique, notamment par l’entremise de réflexions collectives sur les situations ordinaires des pratiques professionnelles.

 

SUMMARY

This article has its origins in our doctoral research, which focuses on the relationship between thoughtful professional practice and educational well-being among high school teachers. To highlight how teachers build their educational well-being, we refer to the

qualitative analysis of data from our doctoral research. It is an exploratory research conducted with thirteen teachers from the greater Montreal Area. According to the overall results of our research, the educational well-being of high school teachers is both a dynamic process whose evolution is influenced by the events in the work environment, especially in the classroom, and by the teacher’s essential qualities, and a construct based on specific dimensions; three dimensions were used in this study: self-efficacy, commitment and job satisfaction. Educational relations with students seem to be the main source of educational well-being for teachers. Believing in the efficiency of their class management skills and noticing that students are happy to be in their class and are involved in their learning apparently stimulates the commitment and job satisfaction of teachers. Reflections on the characteristics and background of students, including their well-being in the classroom, and professional skills seem to be the aspects of interactions with students that affect the educational well-being of teachers the most. As for interactions between work relations with their colleagues, they seem to have a positive impact on educational well-being, namely through collective reflections on the ordinary situations of professional practices. We used two data collection techniques: the Q technique and critical incident technique.

 

MOTS-CLÉS

Autoefficacité ; approche sociocognitive; bien-être pédagogique; engagement, satisfaction.

INTRODUCTION

En se questionnant sur le bien-être professionnel, on est forcé de constater que ce sont surtout les malaises et le stress des enseignants qui polarisent la recherche en éducation, bien que l’on soit de plus en plus préoccupé par la question du bien-être au travail.

 

En faisant référence à la façon dont l’individu répond à une situation qu’il évalue comme difficile (Leroux, 2010), le stress se rapporte à un vécu subjectif avec des conséquences sur le plan personnel et professionnel. Parmi ces conséquences chez les enseignants, on peut citer les maladies somatiques, les troubles émotionnels, le burnout, l’absentéisme, la baisse de rendement, etc. (Houlfort et Sauvé, 2010 ; Powell et Cheshire, 2008).

 

Au pôle opposé, on retrouve le bien-être au travail des enseignants, défini par Gendron (2007) comme un construit qui à la fois se développe et se détériore à travers des situations vécues au quotidien. Conçu comme une forme de bien-être au travail, le bien-être pédagogique se présente comme un processus dynamique, influencé par les interactions professionnelles avec les élèves et les adultes de l’école, par les attentes et les expériences de la salle de classe, ainsi que par les qualités des enseignants (Aelterman, Engels, Van Petegem et Verhaeghe, 2007 ; Lessard, Kamanzi et Larochelle, 2009 ; Yildirim, 2015).

 

La rareté des connaissances sur le bien-être enseignant motive notre intérêt pour une telle étude qui se propose d’explorer le développement du bien-être pédagogique chez les enseignants de secondaire. Pour ce faire, nous avons exploré les réflexions d’« après-coup », qui « permettent de comprendre le travail réel, la façon dont le praticien analyse le contexte, le sens qu’il donne à la situation et les stratégies qu’il a mises en œuvre » (Lagadec, 2009, p. 5). Nous nous sommes aussi inspirées de Soini, Pyhältö et Pietarinen (2010) qui affirment que le succès dans la réalisation des objectifs pédagogiques et sociaux semble pré-conditionné par le niveau de bien-être des enseignants, et que la manière avec laquelle les enseignants réagissent dans la classe et dans la communauté scolaire est un régulateur du bien-être. Cela signifie qu’on peut parler d’une relation réciproque entre le développement du bien-être pédagogique et la réussite de la mission pédagogique des enseignants.

  1. CADRE CONCEPTUEL

 

Pour documenter le concept de bien-être pédagogique des enseignants, nous faisons particulièrement appel au modèle de Soini et al. (2010). Ces chercheuses conçoivent le bien-être pédagogique comme un construit pluridimensionnel qui touche les niveaux cognitif (compétences professionnelles et satisfaction au travail), affectif (engagement au travail, etc.) et social (interactions pédagogiques avec les élèves et les collègues) des enseignants et influence leur motivation, leurs comportements et leur santé mentale et physique. Le développement du bien-être pédagogique en tant que processus résulte ainsi de l’interaction entre la satisfaction au travail, le stress et l’épuisement, surtout émotionnel, et il est soutenu par l’engagement professionnel et les croyances d’efficacité professionnelle. Brièvement, le bien-être pédagogique représente le résultat des cycles d’expériences positives et négatives menant à l’autonomie et à l’engagement, aux sentiments d’appartenance à la communauté, d’autoefficacité, de satisfaction et de contrôle.

 

En abordant le bien-être comme un processus qui s’instaure à partir de la satisfaction et de l’engagement issus des interactions pédagogiques avec les élèves et de la collaboration des enseignants avec leurs collègues, soutenu et renforcé par des croyances sur la qualité des stratégies à mettre en œuvre et des pratiques professionnelles (les croyances d’efficacité personnelle et collective), nous nous inscrivons dans l’approche sociocognitive. Par conséquent, nous avons retenu trois dimensions du bien-être pédagogique chez les enseignants du secondaire : les croyances d’efficacité personnelle ou collective, l’engagement et la satisfaction au travail.

 

Le sentiment (ou les croyances) d’efficacité, personnelle ou collective, la première dimension retenue pour l’étude, est un construit proposé par Bandura (1997). Il fait référence à la pensée et à l’action, à la motivation et aux capacités d’agentivité de l’individu. « Pour le chercheur, le système de croyance sur son autoefficacité, ou le sentiment d’autoefficacité personnelle, est au fondement de la motivation, du bien-être et des accomplissements humains » (Carré, 2004, p. 19). Confiant dans son pouvoir d’exercer un certain contrôle sur son propre fonctionnement et sur son environnement, l’individu mobilise des mécanismes d’adaptation et des efforts pour accomplir des tâches (Bandura, 1997).

 

Considérée comme l’extension de l’efficacité personnelle, l’efficacité collective s’intéresse aux capacités opérationnelles du groupe et aux réalisations associées à ces capacités (Bandura, 1997) : c’est en travaillant en coordination avec les autres que les enseignants seraient capables d’accomplir les tâches qu’ils ne sont pas capables de réaliser par leurs propres forces. De toutes les interactions auxquelles l’enseignant participe dans l’exercice de son métier, nous envisageons celles avec les élèves et avec les collègues. En plaçant le sentiment d’autoefficacité comme la première dimension du bien-être en lien avec les interactions pédagogiques avec les élèves et les relations de travail avec les collègues, nous demeurons fidèles à l’approche sociocognitive.

 

La deuxième dimension retenue pour caractériser le bien-être pédagogique des enseignants du secondaire est l’engagement professionnel. Saks (2006) le défini comme « un concept distinct et unique qui compte des composantes cognitives, émotionnelles et comportementales associées à la performance individuelle dans l’accomplissement d’un rôle » (p. 602 ; traduction libre). Il caractérise le degré auquel un individu est attentif et absorbé dans l’accomplissement de ses rôles.

 

Jepson et Forrest (2006) ont montré qu’il y a une forte relation négative entre l’engagement au travail et le stress professionnel. Pour leur part, Harter, Schmidt et Hayes (2002) concluent qu’un enseignant engagé développe des aspirations d’avancement, veut poursuivre sa carrière et manifeste un faible niveau d’épuisement professionnel.

 

La troisième dimension du bien-être pédagogique dans notre étude, la satisfaction au travail (la satisfaction professionnelle), a été définie par Judge, Thoresen, Bono et Patton (2001) comme une perception d’épanouissement, issue des activités professionnelles quotidiennes, associée à des niveaux élevés de réussite. Selon Brunet, Dupont et Lambotte (1991), la satisfaction professionnelle est un concept global et multidimensionnel; chez les enseignants, son caractère multidimensionnel est illustré par la nature du travail, la fierté, l’enthousiasme, la rétribution, le respect et la reconnaissance (King et Peart, 1992).

 

  1. MÉTHODE

 

Dans cette section, nous présentons la démarche méthodique mise en pratique afin de répondre aux trois objectifs retenus pour l’étude, soit d’explorer des facteurs liés à la pratique professionnelle qui influencent les croyances d’efficacité, l’engagement au travail et le niveau de satisfaction au travail chez les enseignants du secondaire.

Le désir d’approfondir la connaissance du travail d’enseignant et de mieux comprendre les relations qui existent entre les pratiques professionnelles réfléchies et le bien-être pédagogique chez les enseignants qui travaillent dans une école secondaire nous ont orientées vers une recherche de type exploratoire, menée par des stratégies mixtes de collecte et d’analyse des données.

 

Pour cet article, nous présentons les stratégies qualitatives de collecte et d’analyse des données parce que ce sont ces stratégies qui mettent en évidence le bien-être pédagogique des enseignants. Pour présenter notre méthode, nous nous attardons successivement sur le profil des participants, les procédures et les outils de collecte des données.

 

2.1. Le profil professionnel des participants

 

Notre échantillon est un échantillon non-probabiliste, composé de 13 enseignants (onze femmes et deux hommes) œuvrant dans des écoles secondaires situées dans la grande région de Montréal et qui se sont portés volontaires. Le fait d’avoir constaté une certaine saturation par rapport aux dimensions du bien-être retenues pour la recherche nous a permis d’accepter de limiter le nombre de participants de la recherche à 13. À partir des propos de nos participants et des écrits consultés, qui ne mettent pas en évidence des manières différentes de concevoir le bien-être professionnel chez les enseignantes et les enseignants, le sexe n’a pas été un critère de sélection des participants.

2.2. La collecte des données

 

Pour la collecte des données, nous avons rencontré chaque participant une fois, dans un entretien de type face-à-face d’une durée moyenne de 60 minutes. Les entretiens ont été structurés en deux parties : pour la première, les participants ont réfléchi à partir des expériences professionnelles ordinaires ; pour la deuxième, ils ont décrit et interprété un incident critique en lien avec leur travail auprès des élèves. Les réflexions ont été enregistrées et les enregistrements audio ont été retranscrits sous forme de verbatim, afin de générer nos données de recherche. Les réflexions des enseignants ont été transcrites de façon indépendante: une transcription portant sur les expériences ordinaires et une autre comprenant les réflexions sur les incidents critiques.

 

 

2.3 Les outils de collecte de données

 

Deux techniques ont été utilisées pour la collecte des données de notre recherche,  la technique Q-sort, pour explorer les réflexions des participants dans le contexte des expériences professionnelles ordinaires, et la technique de l’incident critique, afin de comprendre l’influence des expériences professionnelles imprévisibles et difficiles sur le bien-être des participants.

 

2.3.1 La technique Q-sort

 

Utilisée pour la première fois par Stephenson (1935), la technique Q-sort, appelée aussi « la méthode Q », permet la quantification de la subjectivité humaine de manière à donner accès à une interprétation qualitative en profondeur (Kamal, Kocór et Grodzińska-Jurczak, 2014, p. 62 ; traduction libre). Dans notre étude, elle consiste à amener les participants à ranger sur une fiche de réponses les énoncés préparés à cette fin et à réfléchir à haute voix sur la valeur accordée à chacun (Dobrica-Tudor et Théorêt, 2017). L’élaboration des énoncés repose sur une base théorique,  respectivement sur le modèle des niveaux de changement de Korthagen et Vasalos (2005 ; figure 1), un modèle centré sur des contenus de réflexion disposés à six niveaux et liés par des relations mutuelles. Les six niveaux, de l’extérieur de l’individu vers les niveaux les plus profonds font référence aux réflexions sur l’environnement et les comportements des enseignants, sur les compétences et les croyances reliées à l’exercice du métier et sur les qualités essentielles des enseignants, soit l’identité et la mission professionnelles.

schema1

Figure 1 : Le modèle des niveaux de changement (Korthagen et Vasalos, 2005)

 

L’élaboration des quatorze énoncés s’est aussi inspirée des écrits qui s’intéressent aux caractéristiques d’un environnement propice aux interactions positives avec les élèves et les collègues (Rolland, 2012 et Zullig, Huebner et Patton, 2011), aux stratégies qui favorisent l’apprentissage chez les élèves (Anderman, Andrzejewski et Allen, 2011; Théorêt et Leroux, 2014) et à la gestion de classe (Cartledge, Singh et Gibson, 2008), aux croyances professionnelles (Lavigne, 2014) et aux qualités essentielles des enseignants (Day et Kington,2008 ; Martineau et Presseau, 2012; Williams et Power, 2010).

 

À l’occasion de l’entretien, les participants ont reçu une feuille comportant les énoncés numérotés et rangés d’une façon aléatoire (le tableau 1) et une fiche de réponses (la figure 2).

 

Énoncés testés

 

1.

 

À l’école, j’ignore les aspects qui n’interfèrent pas directement avec

la réussite de mes élèves.

2.

 

Je suis assez satisfait de mon travail pour ne vouloir presque rien y changer.

 

3.

 

Amener les élèves à se poser des questions sur les contenus à

apprendre constitue une de mes sources de satisfaction.

 

4.

 

Je dirais que mes élèves ont plus de contrôle que moi sur ce qui se passe dans la classe.

 

5.

 

Je me caractérise comme un enseignant qui s’intéresse au bien-être de ses élèves.

 

6.

 

J’évite de partager mes expériences professionnelles avec mes collègues.

7.

 

Pendant mes cours, je consacre du temps à motiver mes élèves quant à leur apprentissage.

 

8.

 

Mon rôle consiste à planifier des séquences d’enseignement qui tiennent compte de la logique des contenus.

 

9.

 

Je me sens capable de mettre en

pratique des stratégies efficaces

pour contrer les comportements

inappropriés de mes élèves.

10.

 

Je me sens capable de formuler des réflexions pertinentes au cours de mes échanges avec mes

collègues.

 

11.

 

Au cours des activités de

réflexion de groupe, j’ai

l’impression d’être mis à l’écart par certains collègues.

 

12.

 

Affronter une nouvelle journée

avec mes élèves est loin d’être

une source de satisfaction pour

moi.

13.

 

Je fais confiance en mes capacités d’adaptation dans n’importe quel milieu scolaire.

 

14.

 

Je dirais que le rôle de leurs pairs est plus important que le mien pour la réussite scolaire des adolescents.

 

Tableau 1 : Les énoncés sur les réflexions des enseignants rangés dans l’ordre aléatoire

 

 

 

Nous leur avons demandé d’inscrire un seul chiffre de 1 à 14 sur chaque case de la fiche un seul chiffre. Chaque nombre correspond à un énoncé présent sur la feuille d’énoncés.

 

 

 

-2 (le moins d’accord) -1 0 +1 +2 (le plus d’accord)
         
         
         
     

Figure 2 : la fiche des réponses

 

Le classement de chaque énoncé a été accompagné d’une réflexion à haute voix sur le degré d’accord du participant avec le contenu et les raisons du classement.

 

2.3.2  La technique de l’incident critique

 

Le deuxième mode de collecte de données est la technique de l’incident critique que Leroux (2010) définit comme une technique qui « vise à accompagner un praticien dans l’analyse d’une situation de travail spécifique étant particulièrement éprouvante » (p. 130). Voici les consignes que les participants ont reçues à l’occasion de la deuxième partie de l’entretien :

 

Décrivez et analysez, s’il vous plaît, un incident critique lié aux interactions avec les élèves qui a eu des conséquences sur votre bien-être. Dans un premier temps, nous vous invitons à mettre en contexte l’incident (les circonstances de l’activité, les événements et les pensées qui ont précédé l’incident, etc.) et à décrire la séquence interactive (des paroles et des comportements personnels et observés chez les élèves, les stratégies mobilisées, etc.) et votre vécu pendant et après l’incident. Avec du recul, quel jugement portez-vous sur la gestion de l’incident en particulier et sur son impact sur votre pratique ?

 

En amenant les participants à réfléchir à leur vécu pendant et après l’incident, nous les avons encouragés à analyser et à évaluer les conséquences de l’incident sur leur bien-être. Les réflexions sur l’impact de l’incident au niveau des pratiques professionnelles devraient aboutir à de nouvelles stratégies, dans le but d’éviter que l’incident ne se répète ou, en d’autres termes, vers la construction de nouvelles pratiques et le développement de leur bien-être professionnel.

 

  1. ANALYSE ET DISCUSSION DES RÉSULTATS

 

Le premier but de cette analyse a été de dégager les thèmes présents dans chacun des deux corpus (les verbatim tirés des propos sur les expériences professionnelles quotidiennes et ceux issus des incidents critiques), pour ensuite en faire l’analyse à l’aide du logiciel QDA Miner. La méthode privilégiée d’analyse des données est l’analyse thématique de contenu. Nous avons opté pour l’examen discursif, qui nous a permis d’identifier, dans un premier temps, les unités de base du sens et, ensuite, les relations qui s’établissent entre elles (Martinic, 2003).

En explorant le bien-être pédagogique des participants à partir de leurs réflexions sur les expériences déjà vécues, nous cherchons à comprendre ce qui lui confère de la durabilité. Contrairement à ses formes de manifestation immédiate, survenues dans une situation particulière de type ici et maintenant, le bien-être durable fait référence aux conséquences des expériences et des sentiments ancrés dans leurs contextes (Aelterman et al., 2007).

 

La discussion des résultats est conduite à partir des trois objectifs spécifiques que nous avons établis pour cette étude.

 

 

3.1 Les croyances d’efficacité professionnelle chez les enseignants du secondaire

Le but de cette section est de répondre au premier objectif, celui d’explorer les facteurs qui influencent les croyances d’efficacité chez les enseignants du secondaire.

Selon nos résultats, la gestion des expériences ordinaires ou éprouvantes s’inspire des réflexions des enseignants à plusieurs niveaux, chacun avec un impact sur leur sentiment d’autoefficacité : ils réfléchissent aux facteurs de nature affective et socioéconomique qui pourraient nuire à la réussite scolaire et aux stratégies susceptibles de stimuler l’apprentissage, aux comportements appropriés et au bien-être des élèves. Il semble que la gestion de classe à partir des règles de fonctionnement, établies de façon démocratique avec leurs élèves, et les réflexions de ceux-ci sur leurs comportements représentent les stratégies de gestion de classe privilégiées par les participants. Ce sont des stratégies qui reposent sur des compétences professionnelles, des comportements adaptés aux caractéristiques des élèves et du milieu, et sur la confiance d’atteindre les objectifs proposés. Nos résultats vont dans le même sens que les affirmations de Van Uden, Ritzen et Pieters (2013) qui soutiennent que le sentiment d’autoefficacité professionnelle des enseignants serait en lien avec la qualité des relations interpersonnelles avec les élèves, les comportements à l’égard de ceux-ci et leurs compétences pédagogiques, ainsi qu’avec l’engagement émotionnel et comportemental des élèves.

L’impact des incidents critiques, associés par les participants aux comportements inappropriés des élèves et à leur manque d’engagement dans la tâche, sur le sentiment d’autoefficacité des enseignants sera fortement influencé par la façon de les gérer. Ainsi, la réussite des stratégies d’intervention et les changements des comportements et des attitudes chez les élèves renforceraient le sentiment d’autoefficacité et inspiraient de nouvelles stratégies à mettre en œuvre. Au contraire, les réflexions des participants qui perçoivent leurs compétences professionnelles comme limitées mettent en relief des niveaux modérés ou faibles de satisfaction au travail et d’engagement dans la gestion des expériences professionnelles difficiles. Voici les réflexions qui expriment l’influence positive de la gestion d’un incident avec les élèves sur l’autoefficacité professionnelle :

 […] c’est cet incident-là qui a fait que maintenant, je n’ai plus des problèmes de gestion de classe, parce que maintenant, mes règles sont installées au début de l’année et les conséquences sont là ; donc ça a de l’influence sur ma pratique et sur mon bien-être. (Cas 12)

 

Ces constats concordent avec ceux de Safourcade et Alava (2009), qui montrent que l’impact des croyances d’efficacité sur les comportements des enseignants se situe à plusieurs niveaux : « En amont, il existe un effet sur l’intention du comportement durant son déroulement avec un effet sur l’autorégulation de ce dernier. En aval, il y a un effet sur la décision de maintien ou de changement du comportement » (p.115).

Par ailleurs, selon nos résultats et ceux de Geijsel, Sleegers, Stoel et Krüger (2009,) il y aurait un impact positif des croyances d’autoefficacité sur la satisfaction et l’engagement au travail chez les enseignants et, implicitement, sur la qualité de l’activité professionnelle. Betoret et Artiga (2010) associent ces croyances à la mise en œuvre de stratégies de coping et à la persévérance au travail, à la motivation et à l’engagement professionnel. Quant à eux, Gibbs et Miller (2014) concluent qu’une meilleure compréhension des facteurs qui favorisent le sentiment d’autoefficacité aurait des conséquences positives sur les niveaux de résilience et de bien-être pédagogique, et que l’évaluation positive de l’efficacité influencerait la gestion de classe.

En outre, il faut mentionner que seulement une minorité (quatre cas) des participants se caractérise par des croyances positives relatives à l’efficacité collective, et seulement deux cas, par les deux formes d’efficacité. Cela concorde partiellement avec les résultats de la recherche de Skaalvik et Skaalvik (2010), qui ont mis en évidence le caractère de construits différents mais corrélés, des deux formes d’efficacité. Réfléchir avec un collègue sur les causes et les pistes de gestion des expériences difficiles, faire part de ses réflexions aux collègues qui respectent ses opinions professionnelles ou même travailler ensemble afin d’atteindre un but, ce sont des exemples de relations de travail qui, selon les propos d’une partie de nos participants et les résultats de la recherche de Ertesvåg (2014), pourraient représenter autant une solution pour la gestion efficace de la classe qu’une façon d’échapper au stress et à l’épuisement professionnel.

Ce sont les enseignants ayant plus de dix années d’ancienneté qui évaluent positivement, le plus fréquemment, leur sentiment d’autoefficacité. Ces réflexions rejoignent les conclusions de Tschannen-Moran et Woolfolk Hoy (2007) qui sont d’avis que les enseignants expérimentés sont susceptibles de compter davantage sur leurs souvenirs et leurs réflexions sur des expériences semblables. Pour leur part, les débutants se fient surtout aux facteurs contextuels, comme leurs ressources personnelles et l’appui interpersonnel (Putman, 2012). On pourrait attribuer ces différences à ce que Van Manen (1995) appelle « le passage de la rationalité technique vers l’orientation pratique » et, peut-être, vers la réflexivité critique. Pour mieux décrire ce passage, le chercheur fait appel à la notion de « tact pédagogique », qu’il définit comme une interaction humaine réfléchie, consciente, active et intentionnelle, menée dans un contexte social donné. Pour leur part, Zwart, Korthagen et Attema-Noordewier (2015) considèrent que la prise de conscience des qualités essentielles et les réflexions sur les pratiques, menées de façon individuelle ou en présence des collègues plus expérimentés, auraient des effets positifs sur les sentiments d’autoefficacité, d’autonomie et d’appartenance au milieu chez les enseignants et les étudiants en éducation.

 

Pour répondre au premier objectif de recherche, nous suggérons que les stratégies qui favorisent le bien-être et l’apprentissage chez les élèves et la gestion efficace de classe, ainsi que le respect de l’identité par les collègues ressortent comme les aspects de la pratique professionnelle les plus reliés aux croyances d’efficacité chez les enseignants.

3.2 L’engagement au travail chez les enseignants du secondaire

Par la présente analyse, nous cherchons à répondre au deuxième objectif de l’article qui porte sur les aspects de la pratique les plus liésà l’engagement au travail chez les enseignants, la deuxième dimension du bien-être pédagogique, selon la fréquence des catégories de discours.

« L’engagement professionnel des enseignants est visible et public » (Duchesne, Savoie-Zajc, et St-Germain, 2005, p.500). Chez les enseignants participants, il se manifeste par la recherche et la mise en œuvre des stratégies menant à la gestion des relations avec les élèves et les collègues, et cela au cours des expériences ordinaires ou inattendues. C’est une façon d’agir qui semble tirer ses racines d’une pensée orientée vers la compréhension du contexte et les améliorations à apporter et qui concorde avec les conclusions de Tsui (2009). Selon la chercheuse, le développement de l’expertise est conditionné par l’engagement au travail, soutenu par la réflexion et la délibération consciente.

Sur la liste des facteurs qui semblent déclencher l’engagement au travail chez nos participants figurent le sentiment d’autoefficacité, le désir de s’améliorer, la passion pour la profession et la participation aux réflexions collectives. En outre, on retient des réflexions des enseignants la préoccupation pour le bien-être des élèves et les facteurs qui pourraient influencer leur réussite scolaire et leur satisfaction de se trouver dans la salle de classe. Edling et Frelin (2013) sont d’avis que les enseignants devraient aborder le bien-être des élèves comme une responsabilité. Cela impliquerait non seulement les attitudes et les comportements des enseignants, mais également la vigilance sur ce qui se passe pendant les cours et la contribution de tous les acteurs au bien-être de chacun.

Quant à l’engagement dans des réflexions de groupe avec les collègues, il se manifeste, chez la majorité des participants, dans le contexte des expériences ordinaires avec les élèves et il diminue quand il s’agit des réflexions sur la gestion des incidents critiques. En fait, aucun de nos participants ne nous a fait part d’un refus de participer aux activités de réflexion de groupe. Au contraire, ils ont témoigné de la disponibilité à s’impliquer dans les réflexions collectives : « c’est important de collaborer avec les collègues, de profiter de leur expérience » (cas 3). Pour argumenter leur participation modérée à ces activités, ils invoquent la qualité des échanges ou du milieu de travail : « c’est difficile de répondre à des réflexions non-pertinentes avec des réflexions pertinentes et logiques » (cas 6). Selon les réflexions de deux participants, les milieux individualistes nuisent à la qualité des échanges, sans toutefois les empêcher. Par ailleurs, même si la plupart des participants perçoivent que leurs collègues respectent leur identité professionnelle, seulement la moitié d’entre eux font appel aux autres enseignants pour réfléchir ensemble à des stratégies de gestion des incidents critiques. Ce résultat pourrait s’expliquer à partir des conclusions de la recherche menée par Levine et Marcus (2010). D’après eux, la participation des enseignants aux activités de collaboration serait influencée par l’atmosphère qui règne pendant les réflexions de groupe, par les thèmes des réflexions et par l’évaluation personnelle de l’impact des réflexions sur leur pratique professionnelle. À leur tour, Runhaar, Sanders et Konermann (2013) concluent que l’engagement professionnel des enseignants est particulièrement conditionné par la qualité des interactions avec les élèves.

Peu importe la nature des réflexions sur la gestion des incidents critiques, individuelles ou de groupe, elles suggèrent des relations entre le sentiment d’autoefficacité et le niveau d’engagement des enseignants : les enseignants qui ne font pas confiance à leurs stratégies d’intervention démontreraient des niveaux modérés d’engagement dans la gestion de ce genre d’incidents. Ainsi, ils interviennent trop tard, se limitent à une seule stratégie d’intervention ou abandonnent la gestion de l’incident assez vite. Au contraire, les participants ayant un fort sentiment d’autoefficacité font preuve de niveaux élevés d’engagement au cours de leurs interactions avec les élèves : ils se donnent plus de temps et d’énergie pour planifier et appliquer des stratégies diversifiées et pour permettre aux élèves de réfléchir sur les tâches et les concepts proposés. Pour ce qui est de la maîtrise des incidents, elle rend l’identité professionnelle plus positive, améliore la compréhension des comportements des élèves et renforce les sentiments d’efficacité et de satisfaction au travail. Pour argumenter l’importance de l’engagement au travail, Grenville-Cleave et Boniwell (2012) s’attardent sur ses conséquences, en affirmant que les enseignants désengagés et démotivés sont coûteux pour la société, non seulement en termes de congés de maladies, mais aussi à cause du modèle qu’ils offrent aux élèves.

En résumé, à la lumière de nos résultats, nous voyons l’engagement professionnel des enseignants du secondaire comme la dimension du bien-être pédagogique la plus stable, et cela, peu importe la nature de la situation de la pratique : qu’il s’agisse d’expériences ordinaires ou difficiles, leur niveau d’engagement professionnel resterait une constante.

3.3 La satisfaction au travail chez les enseignants du secondaire

Dans cette section, nous soulignons des constats qui répondent à notre troisième objectif de recherche, soit d’explorer les facteurs reliés aux pratiques professionnelles qui influencent le niveau de satisfaction au travail chez les enseignants du secondaire.

Dans le but d’analyser les aspects des pratiques enseignantes que les participants désignent comme sources de satisfaction au travail, nous nous sommes attardées sur trois sources potentielles. Ainsi, en plus de documenter la satisfaction générale issue de la qualité de l’environnement et le respect de l’identité professionnelle, nous avons également exploré la manière dont les interactions avec les élèves et avec les collègues influencent les degrés de satisfaction professionnelle des enseignants du secondaire.

L’analyse des réflexions des participants montre que l’exercice de la profession constitue une source de satisfaction pour la plupart des participants : 64,2 % des catégories de discours utilisés pour décrire la satisfaction au travail, générale et spécifique, font référence à des niveaux élevés, 12,2 % décrivent des raisons d’insatisfaction professionnelle et 9,75% témoignent de l’amélioration du sentiment de satisfaction professionnelle à la suite des changements des comportements chez les élèves. Voici le propos d’une enseignante participante quant à l’évolution de son sentiment de satisfaction suivant des changements des comportements chez les élèves d’une de ses classes :

« Jusqu’au mois de décembre, on ne peut pas parler de satisfaction. En fait, elle venait dès février (le mois de janvier était pour implémenter les nouvelles règles) et ça a duré quelques semaines avant de s’habituer avec les nouvelles règles. À la fin de l’année oui, c’est sûr. (Cas 12) »

Même si, de manière générale, les participants se déclarent satisfaits de leur travail, on trouve dans l’ensemble de leurs réflexions, des aspects qui nuiraient au vécu de la satisfaction au travail : un niveau limité d’autonomie relative à la façon d’enseigner et d’évaluer son enseignement, des règlements qui promeuvent la punition, une multitude de tâches à gérer (« gérer les parents, gérer le monde de la direction », cas 10), un manque d’organisation dans l’école (« c’est une totale désorganisation à cette école-là » , cas 13), etc.

 

De manière plus spécifique, la satisfaction liée aux interactions avec les élèves interagirait avec la perception positive des participants quant à leurs capacités d’adaptation aux caractéristiques et au vécu des élèves, avec les compétences de gestion de classe, particulièrement avec les réflexions sur les expériences professionnelles antérieures, avec la façon de concevoir leur souci pour le bien-être des élèves et avec les croyances positives relatives à leur influence significative sur la réussite scolaire de leurs élèves. Les degrés élevés de satisfaction que nos participants attribuent aux interactions avec les élèves vont dans le même sens que les résultats de Maroy (2008) qui montrent que « le travail avec les élèves et l’intérêt pour la matière enseignée » (p.29) sont les deux aspects les plus évoqués par les enseignants pour hiérarchiser leurs sources de satisfaction professionnelle. En outre, en concordance avec nos résultats et à ceux de Gettinger et Kohler (2006) et Opdenakker et Minnaert (2011) c’est par l’intermédiaire du souci pour le vécu des élèves, de la satisfaction de travailler pour et avec ceux-ci et de la mise en pratique d’une diversité de stratégies que les enseignants façonnent les caractéristiques du milieu d’apprentissage.

Quant aux liens entre les relations de travail avec les collègues et les niveaux élevés de satisfaction, ils tiennent de l’environnement professionnel et des croyances des enseignants quant à leurs capacités d’adaptation à de nouveaux milieux de travail et aux comportements des élèves. Ces aspects prennent des connotations spécifiques selon les situations de la pratique. Ainsi, au cours des pratiques quotidiennes, le vécu de satisfaction serait le plus influencé par les capacités d’adaptation aux caractéristiques des élèves ou du milieu. Dans le cas d’un incident critique, les enseignants satisfaits de leur collaboration avec leurs collègues sont ceux qui évaluent leur environnement professionnel comme favorable aux échanges de groupe et croient que leur identité professionnelle est respectée au cours de ces échanges. C’est le genre de réflexions qui concordent avec les résultats d’une recherche quantitative menée par Van Maele et Van Houtte (2012), qui concluent que les enseignants qui font confiance aux compétences et à l’honnêteté des collègues, ainsi qu’à leur ouverture aux échanges professionnels seraient plus satisfaits de leurs pratiques professionnelles.

D’après l’ensemble de nos résultats et ceux de la recherche de Caprara, Barbaranelli, Steca et Malone (2006), les enseignants ayant des niveaux élevés de croyances en leur sentiment d’autoefficacité sont plus susceptibles de promouvoir des collaborations qui nourrissent et soutiennent leur satisfaction au travail. À leur tour, Skaalvik et Skaalvik (2011) ajoutent que, pour nombre d’enseignants, la satisfaction et l’engagement au travail seraient conditionnés par l’harmonisation des compétences, des qualités essentielles et des objectifs professionnels de l’enseignant et de l’école. Quant à eux, Janke, Nitsche et Dickhäuser (2015) ont mis en évidence le rôle de la satisfaction des besoins professionnels (autonomie, compétence, appartenance à la communauté scolaire) dans la disponibilité des enseignants à investir du temps et de l’énergie au cours des activités de développement professionnel. Selon nos résultats et ceux de plusieurs recherches, la charge de travail, le manque de temps pour planifier et préparer les activités et le stress associé à la gestion de la classe influencent négativement le sentiment de satisfaction professionnelle, alors que le sentiment d’efficacité relatif aux stratégies d’apprentissage et de gestion de classe interagit positivement avec la satisfaction au travail (Klassen et Chiu, 2010 ; Liu et Ramsey, 2008).

 

Pour ce qui est des liens entre les émotions difficiles, d’un côté, et la satisfaction au travail et les pratiques enseignantes, d’un autre côté, tels qu’ils ressortent des réflexions de nos participants, ils sont également présents dans la recherche de Kinman, Wray et Strange (2011), qui concluent que les enseignants qui rapportent vivre fréquemment des émotions difficiles sont non seulement épuisés et moins satisfaits de la qualité de leur travail, mais aussi plus susceptibles de développer des attitudes de cynisme envers leurs élèves.

Pour répondre à cet objectif, nous observons que les niveaux supérieurs de satisfaction seraient reliés à la perception positive des habiletés d’adaptation aux particularités des élèves et du milieu de travail, portant surtout sur la qualité des interactions dans la classe et dans une certaine mesure des relations de travail avec les collègues.

3.4 Les apports et les retombées de l’étude

Du point de vue théorique, notre étude a mis en évidence de façon crédible comment des interactions mutuelles se développent entre les trois dimensions du bien-être pédagogique retenues pour l’étude, d’un côté, et les liens de chacune avec la pratique professionnelle, d’autre côté.

 

C’est le sentiment d’autoefficacité qui se situerait au cœur du bien-être pédagogique et pousserait les enseignants à réfléchir et à réguler leurs interactions avec les élèves et leurs collaborations avec les collègues. C’est par l’intermédiaire des comportements professionnels réfléchis que les enseignants régulent et renforcent la confiance dans leurs compétences et dans leurs qualités essentielles, et connaissent la satisfaction au travail. Nos résultats soutiennent la théorie sociocognitive de Bandura (2003, p.12), qui affirme que la confiance que porte l’individu en ses capacités produit des effets positifs sur ses processus cognitifs et comportementaux.

 

Il semble raisonnable de penser que l’étude des trois dimensions du bien-être pédagogique et de leurs interactions dépasse l’intérêt scientifique, qui porte sur la compréhension de la nature, des causes et des conséquences du bien-être pédagogique pour rejoindre la mission de l’enseignement. De plus, en nous joignant aux Van Horn, Taris, Schaufeli et Schreurs (2004), nous pensons qu’une telle compréhension pourrait être prise en considération pour concevoir des formes d’intervention dans le milieu de travail.

Sur le plan pédagogique, certains résultats de notre étude pourraient être pris en compte au cours de la formation initiale des enseignants et par les directions des écoles. En encourageant les futurs enseignants à réfléchir, individuellement et en équipe, aux stratégies qui influencent l’apprentissage et à leur conséquences cognitives et affectives sur les élèves, à partir de plusieurs niveaux et en rapport avec leur bien-être, on encourage la formation d’enseignants qui conçoivent des stratégies d’enseignement centrées sur la réussite scolaire et sur les habiletés sociales des élèves. En d’autres termes, on s’intéresse au tact pédagogique des enseignants en tant que professionnels compétents et en bonne santé mentale.

 

On suppose qu’ils sont capables de transférer et d’adapter les réflexions effectuées sur les théories de l’apprentissage et sur leur propre apprentissage au cours de leur pratique auprès des élèves. Plus précisément, on peut affirmer qu’ils sont capables de prendre en compte les forces des élèves (connaissances, stratégies et métastratégies d’apprentissage, comportements sociaux, bien-être, profil motivationnel, etc.) et l’influence de l’environnement personnel et scolaire dans leur engagement : famille et groupe d’amis, attitudes des enseignants, etc. Nos suggestions méthodologiques s’ajoutent à celles d’Otting, Zwaal, Tempelaar et Gijselaers (2010), qui affirment que le défi de l’enseignement supérieur est de faciliter les processus d’apprentissage qui permettent aux étudiants de construire et de reconstruire des connaissances et de maîtriser un ensemble intégré de connaissances et de compétences pertinentes pour un milieu de travail professionnel donné (p. 741).

 

Sur le plan méthodologique, nous pensons avoir réussi à mettre en relief, par l’entremise de la technique de l’incident critique, l’impact positif des niveaux élevés d’engagement professionnel et de la maîtrise des expériences difficiles vécues au cours des interactions avec les élèves – par l’intermédiaire des pratiques adaptées aux caractéristiques des élèves et au contexte de l’incident – dans le bien-être pédagogique des enseignants.

 

CONCLUSION

En retenant l’approche sociocognitive de Bandura et la liste abrégée des dimensions du bien-être pédagogique, nous avons exploré trois des dimensions importantes : les croyances d’efficacité (que Bandura place au cœur de l’approche sociocognitive), l’engagement professionnel (en tant que forme de manifestation de soi au travail; Kahn, 1990) et la satisfaction professionnelle qui, selon l’avis d’Ilies et Judge (2004), reflète une évaluation implicite du travail et montre la relation entre les stimulations auxquelles l’employé est exposé et les réponses qu’elles suscitent.

 

À partir des textes scientifiques et de nos résultats, nous concluons que les enseignants du secondaire semblent percevoir les trois dimensions du bien-être pédagogique comme interdépendantes, ce qui veut dire que le niveau de chacune aurait une certaine influence sur les niveaux des deux autres dimensions. De plus, les réflexions individuelles et de groupe des enseignants sur les expériences auprès des élèves et la façon de les gérer, ainsi que sur leurs qualités essentielles renforceraient ces interactions, en contribuant au développement du processus du bien-être pédagogique.

 

Notre recherche comporte certaines limites qui relativisent les résultats obtenus. Parmi ces limites, on peut mentionner le fait que notre échantillon est non-probabiliste et restreint ; elle repose sur des données auto-rapportées, ce qui fait que la qualité de nos résultats est influencée par l’honnêteté et la perception des participants (Leroux, 2010).

 

 

 

 

 

 

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Viorica Dobrica-Tudor est titulaire de deux doctorats : le premier en pédagogie, obtenu à l’université Babes-Bolyai (Roumanie), et le deuxième en psychopédagogie, offert par l’Université de Montréal. Elle a travaillé successivement auprès des élèves, professeurs et étudiants roumains et québécois ; maintenant elle est chargée de cours à l’université de Montréal. Chacune de ces expériences a renforcé son intérêt pour le bien-être pédagogique et psychologique des enseignants et ses conséquences sur leurs pratiques et chez les élèves.

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Après une carrière professorale de vingt-sept ans, Manon Théorêt est depuis 2018, à la retraite de l’université de Montréal. Elle œuvre actuellement comme psychologue en cabinet privé auprès d’adultes éprouvant divers problèmes de santé au travail.

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