Dans cet ouvrage intitulé « Bien-être scolaire : Des clés pour demain », Fabienne Serina-Karsky mène une analyse approfondie et holistique d’un environnement scolaire s’inscrivant dans le mouvement de l’éducation nouvelle en interrogeant ses effets potentiels sur le bien-être des élèves. Elle restitue une partie de ses recherches réalisées dans le cadre de sa thèse en sciences de l’éducation soutenue en 2013 à l’Université Paris 8 Vincennes – Saint-Denis et ayant pour titre : « Pratiques éducatives et bien-être de l’enfant à l’école : La contribution de l’Éducation nouvelle (1910-2010) : Pour un nouveau paradigme éducatif ». À travers neuf chapitres, l’auteure explore des aspects spécifiques dans l’organisation structurelle et pédagogique d’une école parisienne tout en interrogeant régulièrement sa posture épistémologique ainsi que la place de la recherche-action et de l’innovation pédagogique en milieu scolaire. Elle y dévoile notamment son cheminement en tant que parent d’élève, étudiante, enseignante puis chercheure et les liens qu’elle tisse à travers ses identités successives. Les éléments d’argumentation et de réflexion sont le plus souvent accompagnés de références bibliographiques ouvrant à des lectures complémentaires.
La première partie est une introduction générale et historique sur le mouvement de l’éducation nouvelle et les lab schools, sur le concept de bien-être et sur les débats méthodologiques et épistémologiques que suscitent la recherche appliquée à l’école. Plus spécifiquement, l’auteure explique que la recherche et les politiques françaises se sont davantage focalisées sur la violence scolaire et les moyens de la prévenir que sur le bien-être à l’école et les moyens de le promouvoir au cours du XXème siècle. Ce schéma semble évoluer depuis plusieurs années où les initiatives visant à comprendre et favoriser les déterminants du bien-être à l’école se sont démultipliées. Si les cadres théoriques sont pertinents et s’inscrivent dans la pluridisciplinarité en abordant le bien-être à l’école notamment à travers le droit, la sociologie, la psychologie ou encore les sciences de l’éducation, il manque des éléments précis sur la définition de ce concept et les termes associés. Par exemple, l’auteure s’appuie la définition formulée dans une note de synthèse du Centre d’Analyse Stratégique (2013) où « le bien-être des élèves [est] entendu comme l’appréciation subjective de leur expérience à l’école » (p. 2). Or, il semblerait que cette approche hédoniste du bien-être – le bien-être subjectif – s’articule également avec des éléments relevant du bien-être psychologique et abordés à différents endroits de l’ouvrage. Florin et Guimard (2017) en donnent la définition suivante : « La conception eudémonique, quant à elle, s’intéresse davantage aux processus qui permettent d’accéder à un certain bien-être, c’est-à-dire à la capacité à disposer d’une certaine maîtrise sur sa vie et donc de se réaliser. Ainsi, contrairement au courant hédonique, cette approche examine surtout ce que font les individus (implication, sens donné à la vie, réalisation de soi, utilisation du potentiel), à la signification de leurs actes et à leur implication » (p. 21). Les débats méthodologiques et épistémologiques concernant la recherche-action et l’innovation pédagogique en milieu scolaire témoignent des réflexions complexes par lesquelles peut passer tout acteur de la communauté éducative qui souhaite repenser son terrain ou ses pratiques comme un objet d’étude. Ce dilemme peut s’entrevoir notamment à travers la question suivante : « En quoi ma position personnelle influence-t-elle mon rapport avec mon objet de recherches, et mon rapport aux autres ? » (p. 50). Ce changement de posture n’est pas toujours simple et relève d’un processus exigeant où l’expérience et la relation subjective à l’objet de recherche peuvent devenir des sources d’appui à son étude comme l’auteure le rappelle.
La seconde partie propose une analyse éclairée de l’organisation générale de l’École Aujourd’hui. Plusieurs aspects sont successivement abordés comme les dynamiques d’interaction au sein de la communauté éducative, l’organisation spatiale des lieux, les rythmes scolaires et extrascolaires, les événements majeurs qui s’organisent durant l’année scolaire, les postures pédagogiques, la formation des équipes ou encore l’ouverture de l’établissement sur l’extérieur. Cette vision à 360 degrés s’inscrit en cohérence avec le postulat initial de l’auteur où les pratiques éducatives doivent s’appréhender comme un système complexe suivant le modèle proposé par Morin (2001). Bien que l’objectif soit de rendre compte de cette complexité, le texte reste très fluide avec un effort pour mettre en lien chaque élément analysé. La démonstration est plutôt réussie car il devient évident au fur et à mesure de la lecture que les pratiques éducatives doivent se penser comme un tout et qu’une action globale pourrait avoir plus de poids que des actions isolées pour agir sur le bien-être des élèves. Il apparaît une volonté de donner du sens pour l’équipe éducative, les élèves et les parents où chacun trouve sa place et reconnaît celle de l’autre au sein de la communauté éducative. L’analyse s’accompagne d’éléments nuancés, voire ambivalents, qui montrent que certains aspects peuvent présenter des limites et doivent ouvrir à la réflexion. Par exemple, les pratiques éducatives sont associées à un investissement important de l’équipe éducative qui va au-delà du temps de travail initialement défini et qui peut se traduire par un sentiment d’usure comme cela est mentionné dans le témoignage d’une personne interrogée : « Je t’avoue que parfois je me dis « mais c’est pas possible d’être payée si peu pour faire autant d’heures de travail », alors je regarde ce que je pourrais faire d’autre, mais bon, ça me passe très vite parce que jamais je ne retrouverai ailleurs une aussi bonne ambiance de travail, et ça c’est le plus précieux … » (p. 83). Ces éléments illustrent que cette mise en sens des actions et des pratiques éducatives peut s’accompagner d’effets potentiellement délétères à long terme face à des conditions de travail particulièrement exigeantes (Sovet & Bernaud, 2019). Il s’agit de défis à relever au sein des établissements scolaires mais plus largement au sein du système éducatif. À ce propos, l’auteure fournit de nombreuses clés pour penser et accompagner cette transition éducative. Il est intéressant de constater notamment que des valeurs partagées par l’ensemble des acteurs de la communauté éducative sur les pratiques éducatives peuvent définir des leviers puissants au service des enfants. La troisième partie est une conclusion ou plutôt un plaidoyer pour repenser les pratiques éducatives au service du bien-être à l’école. Dans la lignée de l’ouvrage de Noddings (2003), Fabienne Serina-Karsky invite à faire du bien-être scolaire une question urgente qui mérite d’être prise au sérieux. Elle met avant la nécessité d’une vision systémique et complexe pour atteindre cet objectif. Autrement dit, chaque composant de l’environnement scolaire doit être attentivement examiné et pensé en relation avec le reste. À ce titre, le mouvement de l’éducation nouvelle et les innovations pédagogiques qui ont été développées dans ces établissements peuvent constituer des points d’appui intéressants. Les clés pour agir en faveur du bien-être et du mieux-être à l’école présentées par l’auteure et mis en place dans cette école parisienne sont d’ailleurs celles qui sont mises en avant dans les préconisations scientifiques à l’image du récent rapport publié par le Conseil Supérieur de l’Éducation au Québec (2020). Cet ouvrage constitue une lecture à la fois pertinente et éclairée pour tout acteur de la communauté éducative qui souhaite s’engager dans la voie de la recherche-action ou de l’innovation pédagogique et notamment en faveur du bien-être à l’école. En effet, il peut constituer une source d’inspiration pour repenser l’école et amener du sens aux pratiques éducatives où le bien-être de l’enfant devient le centre des préoccupations.