Introduction au numéro thématique « Bien-être des enfants : Définitions, évaluations et interventions » / Laurent Sovet et Agnès Florin

Introduction to the theme issue « Child Well-Being: Definitions, assessments, and interventions »

Le bien-être des enfants dans leurs différents contextes de vie constitue un sujet de préoccupation important dans nos sociétés contemporaines et notamment auprès de la communauté scientifique, des pouvoirs publics et des organisations internationales. Loin d’être un sujet nouveau ou à la mode, le bien-être des enfants s’inscrit dans une évolution socio-historique qui a connu une accélération au cours du XXème siècle à travers le mouvement de la promotion des indicateurs sociaux qui apparaît dans les années 1960 et la ratification de la déclaration de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) par 195 pays en 1989 (Ben-Arieh, 2008 ; Martin et al., 2019 ; Sandin, 2014). Les conceptualisations et le choix des indicateurs pour opérationnaliser et mesurer le bien-être des enfants ont été particulièrement débattus avec des difficultés à identifier des consensus (Pollard & Lee, 2003). Il y a aujourd’hui une vision partagée sur le fait que le bien-être des enfants doit s’appréhender à travers de multiples indicateurs (Amerijckx & Claire-Humblet, 2014 ; Ben-Arieh et al., 2014). En l’occurrence, des taxonomies organisées autour d’indicateurs d’ordre physique, psychologique, social, matériel et cognitif sont proposées pour en comprendre le dynamisme et la complexité (Amerijckx & Claire-Humblet, 2014 ; Gromada et al., 2020 ; Martin et al., 2019 ; Moore et al., 2012 ; Pollard & Lee, 2003). La définition proposée par Ben-Arieh et Frønes (2007, p. 1) rendre compte de ces différents enjeux :

« Le bien-être des enfants englobe la qualité de vie au sens large. Il renvoie à la situation économique de l’enfant, à ses relations avec ses pairs, à ses droits politiques et aux possibilités d’épanouissement qui s’offrent à lui. La plupart des études se concentrent sur certains aspects du bien-être des enfants soulignant souvent les variations d’ordre social et culturel. Par conséquent, si l’on veut saisir le bien-être dans sa globalité, il faut utiliser des indicateurs couvrant divers aspects de celui-ci. »

L’élaboration et les débats autour des cadres épistémologiques et méthodologiques pour définir et mesurer le bien-être des enfants, la démultiplication d’enquêtes et d’études nationales et internationales qui explorent le bien-être des enfants – dans sa variabilité et ses déterminants – à travers de nombreux indicateurs objectifs et subjectifs ou encore les interventions ou les politiques publiques visant à favoriser et promouvoir le bien-être de tous les enfants, notamment les enfants en situation de vulnérabilité, contribuent à l’avancement des connaissances et des pratiques sur le sujet. L’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OECD, 2009) rappelle également l’importance d’examiner le bien-être à toutes les périodes de l’enfance et à développer une vision sur le long terme pour construire un bien-être durable. La prise en compte du point de vue des enfants sur leur bien-être se révèle essentielle pour apporter une meilleure compréhension sur le sujet et proposer des interventions et mesures adaptées à leur situation (Florin, 2017 ; Rouyer et al., 2020).

La crise sanitaire de la Covid-19 s’est accompagnée de mesures de confinement et de modifications plus ou moins importantes dans la vie quotidienne des enfants et des adultes dont il est encore difficile d’en mesurer pleinement l’impact dans les trajectoires des enfants (Berasategi Sancho et al., 2021 ; Cowie & Myers, 2021 ; Patrick et al., 2020). Cette situation exceptionnelle rappelle que le bien-être des enfants doit s’explorer et se comprendre à la croisée de facteurs individuels et environnementaux et qu’il peut être amené à évoluer de manière très rapide dans des contextes marqués par le changement, l’imprévisibilité et la précarité. Il convient également d’évaluer les répercussions de la pandémie en interrogeant à court, moyen et long termes (OECD, 2021).

L’objectif de ce numéro thématique est de mettre en perspectives les débats contemporains autour du bien-être des enfants en rassemblant huit articles. Il s’inscrit dans le prolongement du colloque international et pluridisciplinaire organisé par le Centre de recherches en éducation de Nantes (CREN, EA2661) à l’Université de Nantes les 20 et 21 juin 2019 ayant pour titre : « Le monde des enfants et leur bien-être. Accompagner le développement de tous les enfants » et le séminaire de restitution de l’enquête mondiale Children’s World Survey portant sur le bien-être des enfants des enfants de 8 à 12 ans. De manière transversale, chaque contribution de ce numéro thématique se caractérise par une introduction visant à présenter les cadres épistémologiques mobilisés pour appréhender le bien-être des enfants. Trois axes tendent également à émerger.

Les trois premiers articles se caractérisent par des enquêtes nationales portant sur le bien-être des enfants même si elles se différencient sur les objectifs visés, la période de l’enfance concernée et le choix des indicateurs de bien-être. Laurent Sovet, Macarena-Paz Celume, Stéphanie Constans, Agnès Florin, Philippe Guimard, Nicolas Guirimand, Judikaëlle Jacquin et Isabelle Nocus (2021) présentent les résultats préliminaires d’une enquête menée auprès de 2 270 élèves en classe de CM2 en France dans le cadre de la troisième édition de l’enquête internationale Children’s World Survey. Les auteur·e·s décrivent de manière détaillée les cadres conceptuels et méthodologiques mobilisés pour concevoir l’enquête et recueillir les données. Gwyther Rees (2021) s’appuie sur l’étude de cohorte du millénaire (Millennium Cohort Study) au Royaume-Uni menée auprès de plus de 9 000 enfants âgés de 14 ans pour examiner les facteurs prédictifs du bien-être. Dans cette recherche, le bien-être est abordé comme un indicateur composite comprenant des mesures en lien avec le bien-être cognitif, le bien-être social et le bien-être psychologique. Enfin, Julia Buzaud, Kevin Diter, Agnès Grimault-Leprince et Claude Martin (2021) explorent les conséquences de la crise sanitaire sur le bien-être de plus de 500 lycéen·ne·s en France. Une attention particulière est portée sur le rôle des différences individuelles et notamment sur le sexe et le milieu social.

Les quatre articles suivants questionnent le bien-être dans des contextes de vulnérabilité à travers différentes périodes de la vie. Plus spécifiquement, Jérôme Francis Wandji K (2021) interroge les fondations du droit au bonheur chez l’enfant en Afrique. Il souligne les similitudes, contrastes et paradoxes qui existent entre les droits de l’enfant au niveau international et les droits de l’enfant au niveau des États africains face à un terme parfois mal identifié de « bonheur ». Joseph Bomda (2021) apporte une complémentarité à l’article précédent en interrogeant les représentations du bien-être des enfants chez des parents d’élèves au Cameroun. Il questionne également les rapports à l’école et le rôle des institutions scolaires dans le développement du bien-être des enfants. L’article suivant a été rédigé par Daniel Mellier, Anne Boissel, Nicolas Guénolé, Anne-Laure Poujol, Dominique Guédon et Régine Scelles (2021) et vise à mener une réflexion sur les pratiques d’évaluation du bien-être chez des enfants, adolescent·e·s et adultes de situation de polyhandicap. Le bien-être cognitif et le bien-être psychologique sont plus particulièrement évoqués. Enfin, Erero Njiengwe, Gilles Ndjomo et Odette N-Guifo (2021) abordent la situation des nouveaux-nés prématurés et l’impact de la Méthode Mère Kangourou sur leur prise en charge dans le contexte africain. Ici, il s’agit plutôt d’aborder le bien-être des enfants à travers des indicateurs d’ordre physique.

Enfin, le dernier article rédigé par Pascale Haag et Marlène Martin (2021) vise à discuter les principaux cadres théoriques pour penser et promouvoir le bien-être à l’école. Cette contribution met en dialogue les études scientifiques avec le contexte de la Lab School Paris, une école alternative fondée sur l’expérimentation pédagogique. En conclusion, ces articles apportent conjointement une illustration de l’étendue et de la diversité des définitions, des méthodes d’évaluation et des interventions autour du bien-être des enfants. La prise en compte de leur point de vue est souvent l’objet central pour conduire des études sur leur bien-être. Les discussions laissent entrevoir des pistes de recherche à poursuivre et invitent à une meilleure articulation entre recherches et pratiques et entre communauté scientifique et pouvoirs publics au service de tous les enfants et des adultes en devenir.

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