Cet article explore les contributions de la sociologie (et des disciplines voisines telles que l’anthropologie, les politiques publiques et les études culturelles) aux travaux de recherche sur le bien-être depuis les Lumières jusqu’à ce jour. Les penseurs avant le 20e siècle, dont les œuvres ont posé les bases des sciences sociales, prenaient le thème du bonheur au sérieux, comme un enjeu central de leurs recherches. Au cours du siècle dernier, les sociologues ont réalisé d’importantes contributions pour comprendre le bonheur, bien que l’absence de cette thématique des manuels, des encyclopédies et des colloques suggère qu’elle n’a jamais été centrale dans les courants dominants. Le rôle de la sociologie dans les recherches sur le bonheur pourrait être considérablement renforcé à travers des approches plus systématiques et explicites, en particulier suivant des méthodes qualitatives. Celles-ci se développeront sans doute prochainement, à mesure que la discipline converge avec les autres sciences sociales (notamment la psychologie et l’économie) qui ont déjà réalisé de grands progrès en convainquant le grand public et les responsables politiques qu’un sujet aussi évanescent que le bonheur puisse être analysé et évalué d’une manière à la fois éclairante et scientifiquement robuste. Une focale bonheur (« happiness lens ») est souhaitable si l’objectif est de renforcer les contributions de la sociologie à la compréhension et à l’essor de sociétés harmonieuses et de vies épanouies. Cette focale pourrait compléter l’approche « pathologiste » avec une certaine « positivité », elle insisterait sur les efforts emprunts d’empathie pour respecter la subjectivité du moi, et viendrait promouvoir le holisme et l’analyse du cycle de vie.
À propos de l’auteur
Neil Thin est professeur à l’université de sciences politiques et sociales de l’université d’Edimbourg. Il s’intéresse à la recherche interdisciplinaire sur le bien-être dans une optique interdisciplinaire et appliquée. Pour ce faire il travaille à temps partiel pour le parlement écossais. Il collabore avec des institutions à tous niveaux de celles impliquées sur le terrain aux gouvernements et institutions supranationales comme l’ONU.
Summary
This paper explores the contributions of sociology to happiness scholarship from the Enlightenment through to the present day. Pre-20th century thinkers whose work led to the formation of social science tended to take the theme of happiness seriously as a central challenge of social scholarship. Over the past century, sociologists have made important contributions to understanding happiness, although its absence from textbooks, encyclopedias, and conferences suggests that happiness has never been a major theme in mainstream sociology. The discipline’s role in happiness scholarship could be greatly strengthened through more systematic and explicit approaches, especially in qualitative research. These will doubtless be developed soon, as sociology catches up with the other social sciences (most notably psychology and economics) that have already made great progress in convincing general publics and politicians that something so elusive as happiness can be analysed and assessed in robust and illuminating ways. A ‘happiness lens’ is recommended as a way of making sociology more transparent regarding its contributions to understanding and promoting good societies and good lives. This lens complements pathologism with positivity; insists on empathic effort to respect first-person subjectivity; and promotes holism and lifecourse perspectives.
Mots-clés
Bonheur, Bien-être, Progrès social, Empathie, Subjectivité, Positivité, Sciences sociales.
Keywords
Happiness, well-being, social progress, empathy, subjectivity, positivity, social sciences
Cet article est paru en 2014 sous le titre « Positive Sociology and Appreciative Empathy: History and Prospects » dans la revue Sociological Research Online, 19 (2) 5
Traduit de l’anglais par Charles Sellen
L’article est disponible en format pdf dans le deuxième numéro. Pour y accéder, cliquer ici: SetB_2_ete2017
- Positivité, biens sociaux et bonheur social
Parmi les chercheurs intéressés par les dimensions sociales du bonheur, il est devenu conventionnel ces dernières années de déplorer la faible contribution que les sociologues ont faite à l’étude du bonheur (Schuessler et Fisher, 1985; Abbott, 2006; Haller et Hadler, 2006; Kosaka, 2006; Veenhoven, 2008; Stebbins, 2009; Kroll, 2011; Bartram, 2012). Ces complaintes sont compréhensibles mais pas entièrement justifiées sans apporter davantage d’éclaircissements. La sociologie en général a certainement semblé réfractaire à faire du bonheur (ou des concepts connexes comme le bien-être, l’épanouissement et la qualité de vie) une thématique majeure et transverse, pas même un sous-domaine de spécialisation. Par contraste avec la psychologie, l’économie et la philosophie, les autres sciences humaines et sociales ont fait un écho limité à l’engouement public croissant pour les sciences du bonheur. La sociologie qualitative (comprise au sens large pour inclure l’anthropologie socioculturelle et les études culturelles) s’est montrée particulièrement silencieuse sur le sujet du bonheur.
1Dans les premières analyses systématiques des contributions de l’anthropologie aux études sur le bonheur, nous avons affirmé (Thin, 2005) que le romantisme et le relativisme moral partisan (anti-moderne ou anti-occidental, mais favorable à tous les autres courants culturels) a inhibé le développement de toute focale systématique sur le bonheur dans l’anthropologie du 20e siècle. Dans une résurgence d’intérêt toute récente, quatre revues de littérature anthropologiques sur le bonheur se sont rapidement succédées (Corsin Jimenez, 2008; Mathews et Izquierdo, 2008; Berthon, 2009; Selin et Davey, 2012), mais de même qu’en sociologie, il reste un long chemin à parcourir avant que ne soit acceptée dans le milieu académique l’attention systématique à une expérience de vie positive.
Peu de temps après, Veenhoven (2006) a proposé d’appliquer cette même critique à la sociologie. On pourrait raisonnablement s’attendre à ce que l’anthropologie ait davantage de choses à dire sur le bonheur que la sociologie : bien que ces deux disciplines aient émergé de critiques déclinistes des maux de la modernité, de nombreux anthropologues étaient motivés plus positivement pour explorer le bonheur dans des contextes non occidentaux et préindustriels. Pourtant l’examen anthropologique sérieux du bonheur n’a jamais émergé au 20e siècle et, malgré sa critique des carences de la sociologie du bonheur, Veenhoven a aussi prétendu que « les recherches sur la qualité de vie ont grandement bénéficié de la discipline sociologique », soulignant sa prééminence dans les travaux sur les indicateurs sociaux et dans les études sur le vieillissement épanoui, la psychologie du bien-être, la santé (Veenhoven, 2007, p.54). Le facteur clivant semble se trouver entre d’une part la sociologie quantitative (qui a apporté de nombreuses contributions explicites aux travaux sur le bonheur et la qualité de vie tout au long du 20e siècle) et d’autre part la sociologie qualitative (ethnographique, narrative, interprétative, analytique) et l’anthropologie, dont les contributions furent plus sporadiques et moins explicites. Depuis les années 1930, les sociologues quantitativistes occupent la place centrale du mouvement des indicateurs sociaux, qui en dépit de biais pathologiques initiaux a été au cœur de l’expansion contemporaine de la science du bonheur.
On peut présumer que tous les sociologues s’accorderaient à espérer que leur discipline contribue au bonheur et au progrès social. En dépit de débats au long cours sur la promotion wébérienne d’une science sociale libérée des jugements de valeur, on s’attend en général à ce que les sociologues aient des valeurs et soient socialement progressistes. Selon une définition récente : « pour le sociologue humaniste, la sociologie est l’étude des moyens de rendre le monde meilleur. Le fondement clé est que les gens comptent » (Du Bois et Wright, 2002, p.5). Ces auteurs affirment que la valeur centrale vers laquelle la sociologie devrait orienter ses efforts est « le bien-être humain […] ce qui est bon pour les gens » (p.32). Même les sociologues qui ne pensent pas leurs travaux en termes « humanistes » conviendraient sûrement qu’il est important pour la sociologie d’apporter une forme de contribution à la compréhension et à la promotion du progrès. Et si « les gens comptent » véritablement, ils importent non seulement comme objets d’interrogation mais aussi (et surtout) comme des agents expérimentateurs subjectifs et des évaluateurs de leurs propres conditions de vie. Pourtant le bonheur, ou plus généralement le bien-être, semble être traité dans la plupart des écrits sociologiques ayant des implications politiques comme un sujet « de bon sens » ne méritant pas l’attention critique minutieuse dont bénéficient d’autres sujets (Bartram, 2012, p.16-17).
La plupart des sociologues conviendraient sans doute que l’approche pathologiste a prédominé jusqu’ici dans la culture de la sociologie moderne[1]. La manière standardisée d’être « progressiste » en tant que sociologue est de souligner la souffrance et les vicissitudes sociales en espérant les alléger. Cette démarche pathologiste est bien sûr d’une importance vitale et bien intentionnée, et elle peut dessiner un chemin pour aider les gens à vivre adéquatement dans des sociétés décentes. Mais il y a des différences notables entre les standards minimaux et une qualité sociale véritablement bonne ; si nous souhaitons développer de meilleures sociétés, nous devons apprendre autant des bons exemples que des mauvais. Ainsi qu’Orwell l’écrivit dans son essai Why Socialists Don’t believe in Fun [Pourquoi les socialistes ne croient pas au divertissement] (1943), « l’incapacité de l’humanité à imaginer le bonheur sauf sous la forme du soulagement, soit des efforts soit des douleurs, pose aux Socialistes un sérieux problème ».
Afin de poursuivre des objectifs fortement positifs, ou non minimalistes, la recherche socialement « positive » prend en considération les biens sociaux et la construction sociale du bonheur. Une attention systématique à la compréhension et à la promotion des biens sociaux (c’est-à-dire des qualités désirables d’une société véritablement bonne) demeure assez rare en sociologie et dans les politiques sociales appliquées. La recherche sociologique qui n’est pas neutre dans ses aspects descriptifs ou analytiques a eu tendance à étudier comment les processus sociaux et les institutions inhibent le bonheur. La sociologie, les disciplines abordant les politiques sociales ou le travail social, ainsi que l’anthropologie culturelle ont toutes été réticentes à développer l’analyse systématique de la manière dont la société rend le bonheur possible (Thin, 2012, p. 8-9). La planification et la prise de décisions à portée sociale ont été conduites à l’échelle mondiale largement en l’absence de critères positifs de progrès social, et par conséquent sans un éventail transparent de critères pour fixer des objectifs, justifier des plans, ou évaluer des réussites (Herrmann, 2007; Thin, 2002).
Depuis les années 1990, la croissance rapide du mouvement de « psychologie positive » et l’émergence concomitante d’une communauté académique du bonheur ont été strictement confinés aux disciplines de la psychologie, de l’économie et (dans une moindre mesure) aux sciences de gestion et d’organisation. Etant donné l’essor rapide de l’attention portée au bien-être et aux biens sociaux positifs dans les médias, les politiques publiques et même la comptabilité nationale, il apparaît inévitable que les autres sciences sociales tracent à leur tour leurs propres voies pour s’intéresser « positivement » à la facilitation sociétale du bien-être.
Dans la rubrique « Qu’est-ce que la sociologie ? », le site Internet de la British Sociological Association [URL] indique dans la première phrase que : « la sociologie est l’étude de la manière dont la société est organisée et de la manière dont nous faisons l’expérience de la vie » [souligné par nous]. Ce propos est chargé de promesses pour la promotion d’une empathie humaniste. Cependant, dès les premières lignes le texte mentionne la pauvreté, la criminalité, les paniques morales, la déviance et le comportement antisocial comme des exemples indicatifs des phénomènes sociaux pris en considération. Cela donne l’impression d’une inquiétude plutôt qu’une empathie appréciative et ouverte. Par contraste, l’American Sociological Association affiche une page « Qu’est-ce que la sociologie ? » qui évite scrupuleusement toute allusion à des pathologies sociales et sa ligne de conduite nous informe que la mission de l’ASA est de « servir le bien public ». Là encore cela appelle la positivité de manière prometteuse. Pourtant, la description de l’ASA [URL] n’inclut aucune mention d’aucun intérêt sur la manière dont les gens se sentent ou comment ils évaluent leurs vies et leurs sociétés. Cela confirme la perception de nombreux sociologues que l’expérience émotionnelle a été laissée orpheline d’une théorie sociologique (Hochschild, 1964, p.280; Williams et Bendelow, 1998: xv). Quel espoir y aurait-on de comprendre le bien public si l’on n’explore pas systématiquement les sentiments et les perceptions de la population ?
Comprendre ces deux tendances – la prédominance du pathologisme et l’étonnante négligence du point de vue des gens eux-mêmes sur leurs expériences – fournit la clé pour comprendre pourquoi si peu de sociologues trouvent un intérêt académique explicite dans l’étude du bonheur. Nous devons par conséquent explorer les voies suivant lesquelles, sans perdre les bénéfices importants du regard pathologiste et de l’objectivité scientifique, les sociologues pourraient aussi englober la positivité et l’empathie appréciative.
- Sociologie positive et bonheur social
Que pourrions-nous donc inclure dans une approche de « sociologie positive » ? Il y a eu deux sortes très différentes de propositions pour une nouvelle « sociologie positive » ces dernières années. En premier lieu, Liu a invité la discipline à devenir plus positive, dans le sens d’un optimisme confiant sur la capacité de la discipline à formuler des explications et des prédictions pertinentes (Liu, 1996). Devançant les assertions formelles du mouvement de « psychologie positive », Liu n’a pas mentionné l’orientation de cette science positiviste revitalisée vers l’étude du bonheur. Elle confère au terme « positif » la signification d’une confiance dans les apports factuels à la connaissance, comme dans l’ouvrage Cours de philosophie positive (1853/2000) d’Auguste Comte. En bref, elle défend un retour au sens de « positif » tel que Comte l’a fait connaître, plutôt que dans le sens d’un bonheur, dont Comte prétendait qu’il était la finalité de cette science positiviste.
En 2009, Stebbins a lancé un appel en faveur de la sociologie positive depuis la sociologie du loisir, en se basant explicitement sur l’inspiration du mouvement de psychologie positive et définissant la nouvelle sous-discipline qu’il propose comme « l’étude de ce que les gens font pour organiser leurs vies de telle manière que celles-ci deviennent, en concomitance, fortement gratifiantes, satisfaisantes et épanouissantes (2009:xi). Cette signification nouvelle du terme « positive », post-1900, renvoie aux « biens » : les aptitudes, les processus sociaux, ou les choses qui nous sont bénéfiques. Le bonheur n’est pas le seul de ces biens. Il peut y avoir une valeur intrinsèque des « biens irréductiblement sociaux » tels que la justice, la paix, la sagesse collective et la solidarité (Taylor, 1990/1995). Si la sociologie positive devient à la mode, il est probable qu’émergent des travaux plus systématiques sur les biens communs essentiels, qui ne réduisent pas ceux-ci à leur rôle instrumental de facilitation du bonheur. Mais tous contribuent en effet au bonheur, et l’étude de la facilitation sociale du bonheur est un point de départ idoine pour commencer à promouvoir la sociologie positive. Stebbins appuie explicitement son effort pionnier en complément à l’approche « principalement centrée sur les problèmes » de la sociologie « dominante » (2009:xi).
2.3 Nous entendons ici démontrer que, bien que les contributions explicites de la sociologie au bonheur et les travaux sur la qualité sociale ont été jusqu’à présent principalement « positivistes » (fondés sur des enquêtes chiffrées et auto-administrées sur le bonheur, la satisfaction globale de sa vie [life satisfaction], et la satisfaction dans chacun des compartiments concrets de la vie [domain satisfaction]), la nouvelle sociologie positive devra impérativement promouvoir les approches qualitatives et interprétatives de la positivité. La sociologie positive met particulièrement l’emphase soit sur les biens sociaux (c’est-à-dire sur les bonnes qualités sociales) soit sur le bonheur, ou sur les deux à la fois. La sociologie focalisée sur les méfaits ne peut être qualifiée de « positive » suivant cette définition, bien que cela n’implique pas bien entendu que la recherche sur les pathologies sociales ne soit pas vitale pour faciliter le progrès social.
Cet article se focalise sur la recherche sociologique sur le bonheur. Pour définir cela, il nous faut combiner deux éléments : une focale sociologique et une focale liée au bonheur. La focale sociologique suppose de porter attention aux contextes socioculturels – comment les institutions, les relations, les codes culturels, et l’apprentissage social influence le bonheur ou facilite l’expérience ou la compréhension du bonheur. Il s’agit là d’un prérequis minimum, et en ce sens il n’est pas nécessaire d’être sociologue pour adopter une perspective sociologique. Une définition plus ambitieuse insisterait sur l’application explicite de la théorie sociologique, par exemple en employant les concepts durkheimiens de solidarité, ou les concepts marxistes de classe ou d’aliénation dans l’analyse des facteurs sociaux affectant le bonheur.
Le « bonheur » a acquis une signification foncièrement psychologique liée au bien-être subjectif, englobant l’expérience de bons sentiments aussi bien qu’une autoévaluation réflexive ou « cognitive » de la vie d’un individu, prise dans son ensemble. De nombreux chercheurs sur le bonheur avancent également que leurs travaux prennent en compte largement les bienfaits de la vie, dont les expériences psychologiques positives et les autoévaluations ne forment qu’une partie. Pour cette compréhension élargie, les mots de « bien-être » ou « épanouissement » sont moins susceptibles de porter à confusion. Il convient de distinguer quatre aspects de la « focale bonheur » : positivité, respect pour la subjectivité, holisme, et perspective de vie (ces quatre qualités ensemble résultant idéalement en une cinquième, appelée « transparence éthique ») (Thin, 2012). Parmi celles-ci, les deux premières sont les prérequis minimaux de base, et les deux suivants pourraient être vue comme des ajouts plus ambitieux. La totalité de ces facettes du bonheur sont en quelque sorte socialement construits et par conséquent deviennent des sujets appropriés pour l’enquête sociale (Baltatescu, 1998). Même les sentiments qui sont vécus dans l’intimité et « à l’état brut » sont compris et communiqués suivant des manières apprises d’autres personnes et de répertoires culturels.
La matrice présentée dans le tableau 1 est proposée en guise d’outil analytique simplifié pour appréhender la variété des engagements et intersections entre la sociologie et les études sur le bonheur. La « sociologie positive » tout entière ne se focalise pas sur le bonheur, puisqu’il est possible d’analyser les biens sociaux sans prendre en compte la dimension subjective. De plus, une large part de la recherche sociologique porte sur une subjectivité principalement pathologique, avec un fort biais relatant des expériences pénibles. La sociologie du bonheur s’intéresse à l’expérience subjective des biens sociaux. Par exemple, une enquête simple sur les aspects sociaux de la satisfaction au travail pourrait rendre compte de la plus modeste diversité de la sociologie du bonheur, dans la mesure où elle impliquerait d’explorer la subjectivité positive en se référant au contexte socioculturel. Une approche pleinement « maximaliste » supposerait une recherche plus sophistiquée, peut-être en appliquant les théories sociologiques des classes, de l’aliénation, et de l’identité sociale pour analyser la satisfaction professionnelle au regard d’autres sphères de la vie (famille, loisirs…) et au regard du rôle des codes/facteurs culturels dans les récits de vie probants/porteurs de sens. Pour certains objectifs de recherche, l’approche minimaliste pourra suffire, mais le potentiel entier de la sociologie positive sera pleinement révélé en combinant toutes les dimensions de la « focale bonheur » avec l’application sophistiquée des théories sociologiques.
Tableau 1. Les différentes approches sociologiques du bonheur
Le terme « bonheur » ne renvoie pas ici à une réalité substantielle (nos autoévaluations sont bien trop élusives et ambiguës pour cela), mais plutôt aux conversations que nous avons à propos de la bonté de la vie – pas seulement l’appréciation des bons sentiments, mais aussi la justification, l’anticipation, et le partage de nos évaluations sur la façon dont les gens mènent une vie bonne (en suivant une logique prudentielle à leur égard). Les conversations sur le bonheur facilitent ce qui peut être appelé l’empathie appréciative : elles nous rendent « appréciatifs » en dirigeant notre attention vers la positivité (en portant un intérêt systématique aux biens sociaux et au progrès social) et nous rendent « empathiques » en nous conduisant à porter attention à la subjectivité personnelle d’autrui (Thin, 2012:xiv).
Dans la recherche sociale, le bonheur importe de manière descriptive (il s’agit d’une thématique centrale dans la compréhension quotidienne des différences entre les gens et les expériences). De manière analytique, il importe également car le bonheur et sa poursuite sont des causes importantes et des résultats des processus sociaux. Il importe enfin de manière évaluative, car il est central (mais pas toujours explicite) à la justification des façons de faire des choses et à l’évaluation de la manière dont les choses vont. Si la recherche sociale est inadéquate lorsqu’elle est dépourvue d’analyse du bonheur, l’inverse est également vrai : les chercheurs spécialisés sur le bonheur dans d’autres disciplines devraient prendre en compte la manière dont le bonheur est socialement construit. Le bonheur est facilité, exprimé, poursuivi, et inhibé dans des contextes socioculturels particuliers. La recherche sur le bonheur requiert la participation de toute la gamme des sciences sociales. En un mot, la sociologie et les travaux de recherche sur le bonheur ont besoin l’un de l’autre.
Il semble que les études systématiques de la facilitation sociale du bonheur pourraient clairement jouer un rôle clé dans la sociologie. Tous les êtres humains dépendent largement de la société pour atteindre le bonheur : depuis les premières enquêtes sur le bonheur, les bonnes connections sociales ont régulièrement été prééminentes parmi les facteurs corrélés au bonheur auto-déclaré (Maddox, 1982, p.78; Ferriss, 2010:xiv). De plus, notre expérience et notre compréhension du bonheur sont socialement construites. Le bonheur est intellectuellement inconcevable, sans parler de savoir si l’on est heureux ou non, en dehors des récits sur le bonheur transmis par la culture, et des relations sociales qui nous permettent d’exprimer ce bonheur et d’en faire l’expérience intersubjective.
Il est aisé de rapporter des lieux communs plausibles pour expliquer comment la société permet l’épanouissement humain. En pratique, cependant, nous nous laissons guider par des théories populaires souvent implicites à propos de la société et du bonheur, qu’il conviendrait de corriger au moyen de recherches empiriques. La sociologie et l’anthropologie du XXe siècle se sont développées à l’encontre de théories populaires triomphantes à propos des vertus de la modernité occidentale. De nos jours, il apparaît que les sociétés modernes, en particulier celles qui autorisent une ample liberté, la paix, la démocratie, et le respect des choix individuels, ont de facto rendu possible le bonheur dans des proportions saisissantes, au moins si l’on s’en réfère aux auto-déclarations mesurées (Helliwell et Want, 2012; Diener et al, 2013). La sociologie « pessimiste » et l’anthropologie « romantique » sont à cet égard assez mal préparées pour appréhender l’actuelle vague globale d’autoévaluations enthousiastes issues des sociétés se modernisant : « Durkheim pensait que la dé-modernisation restaurerait le bonheur. Pourtant les données suggèrent plutôt que les gens sont plus heureux dans les sociétés modernes » (Glatzer, 2000, p.504). La reconnaissance du progrès social, sans parler de son analyse systématique, n’a clairement pas été prééminente dans la sociologie depuis le XIXe siècle (Best, 2001; Thin, 2002).
- La positivité sociale avant le XXe siècle
Aucun des textes fondateurs de la sociologie datant du XIXe siècle n’a omis de placer le bonheur au centre des préoccupations. En 1824, William Thompson a initié le mouvement en publiant Une enquête sur les principes de la répartition des richesses la plus propice au bonheur humain [An Inquiry into the Principles of the Distribution of Wealth Most Conducive to Human Happiness]. Dans cette redoutable critique socialiste du capitalisme qui ouvrait la voie à la théorie marxiste de la valeur par le travail, Thompson proposait que les « amis des classes industrieuses » développent une « nouvelle science et un art de créer de la joie », se déclarant lui-même explicitement un adepte de la philosophie utilitariste de Mill et Bentham. Auguste Comte, inventeur des termes de « sociologie » et de « positivisme », entendait faire du positivisme la science qui promouvrait le bonheur – un fait qui fut ensuite plus ou moins écarté de l’histoire des sciences sociales (Plé, 2000, p.427).
Dès les premières années des Lumières, des spéculations théoriques ont eu lieu à propos de la possibilité de quantifier le bonheur. Cela résulterait à notre époque en une domination des travaux de recherche « numérophiles » sur le bonheur. En 1726, Francis Hutcheson a tracé la voie à la philosophie utilitariste avec son affirmation audacieuse suivant laquelle la morale devrait conduire au « plus grand bonheur du plus grand nombre de personnes ». Bayes, le mathématicien à l’esprit théologique, dont on se souvient aujourd’hui comme un fondateur clé des statistiques modernes, publia en 1731 son traité Bienveillance divine, ou, une tentative de prouver que la principale finalité de la divine providence et du gouvernement est le bonheur de ses créatures. Avant les années 1790, John Sinclair avait publié son Tableau statistique de l’Ecosse en 21 volumes, dans lequel il inventait le terme moderne de « statistiques » et fondait un nouveau système de comptabilité nationale. L’objectif des statistiques, disait-il, était de déterminer « la quantité de bonheur » d’une nation dans la perspectives de son amélioration (Sinclair 1798, vol 20, p.13).
Lui-même et Malthus, qui observait comment la croissance de la population pouvait affecter le bonheur (Malthus, 1798/1826), utilisa le concept principalement pour rendre compte des conditions de vie plutôt que pour renvoyer à la psychologie. Marx, cependant, a développé une approche plus socio-psychologique. Il a discuté régulièrement le bonheur et le malheur dans la plupart de ses œuvres, s’accordant sur l’idée plutôt abstraite du bonheur comme la réalisation potentielle par l’humanité de son « être générique » dont les institutions sociales nous aliènent souvent. La religion, par exemple, a offert à ses fidèles seulement un « bonheur illusoire » devant être opposé à leur « attentes d’un véritable bonheur » (1844a, Introduction). Il affirme de manière décisive que « l’activité consciente et libre est l’essence du genre humain » et que « l’activité de vie consciente distingue l’homme de l’activité vitale du règne animal » (1844b, p.31). Ici, Marx anticipe les mouvements du « potentiel humain » et de « l’accomplissement/la réalisation de soi » qui ont émergé de la psychologie des années 1960 et qui ont conduit au mouvement de psychologie positive.
L’œuvre de Spencer, Social Statics (1851) mentionnait dans son sous-titre Les conditions essentielles au bonheur humain, et faisait plus de 100 références au bonheur. Plus tard, et de manière plus optimiste que Marx ou Spencer quant à l’ingénierie sociale, le texte fondateur de Lester Ward, Sociologie dynamique (1883/1911), était fondé entièrement sur des principes utilitaristes et promouvait la facilitation sociale du bonheur comme un aspect fondamental de la discipline. Il faut en particulier souligner sa vision que l’évolution naturelle est dépourvue d’objectif, et par conséquent moins pertinente pour le bonheur humain qu’une planification sociale intelligente et orientée.
- Durkheim et l’avènement du pessimisme social
Il a souvent été relevé que le bonheur était central dans l’œuvre de Durkeim (Challenger, 1995, p.165; Vowinckel, 2000; Neves, 2003). Dans tous ses textes incontournables, Durkheim analysa les relations entre les forces sociales et le bonheur. Le premier chapitre du deuxième livre de La division du travail (1893/1984) était intitulé : « Le progrès de la division du travail et du bonheur ». Il s’est opposé avec force à l’optimisme post-Lumières : l’augmentation de la productivité et des conditions de vie améliorées ne se traduisaient pas automatiquement en un progrès social et psychologique. Il a établi un scepticisme antimoderniste qui dominerait la sociologie du XXe siècle. Pour lui, toute nouvelle forme de plaisir apporté par la modernité était susceptible d’être contrebalancé par de nouvelles formes de souffrance. Recherchant les preuves irréfutables/tangibles du « bonheur moyen » des populations, il fit l’erreur simpliste de supposer que cela pourrait être révélé comme un fait social par le taux de suicide (1893/1984, p.192).
Le pessimisme social de Durkheim s’est renforcé dans Le Suicide (1897), et la graine fut ainsi plantée pour qu’on associe pendant longtemps la sociologie avec un scepticisme antimoderniste et avec un certain déclinisme en Europe et en Amérique du Nord. Cela étant, il reconnut tout de même comme un fait social que la plupart des gens dans le monde semblent être satisfaits de leurs vies quelles que soient leurs conditions de vie. En rejoignant Rousseau, Waitz et leurs semblables dans une admiration quasi-béate du bonheur supposé des « peuples primitifs », il a également contribué à la tradition anthropologique d’observation et de célébration naïve des formes variées de bonheur que la civilisation était réputée avoir perdues.
Dans les années 1940, Wright Mills avait déjà suggéré l’étiquette « Pathologistes sociaux » pour les sociologues des Etats-Unis : l’enjeu de la sociologie était d’étudier des « problèmes » interprétés/perçus comme autant de déviations d’une normalité vaguement idéalisée comme stable et rurale (1943, p.165-180). Plus tard, dans son introduction remarquée à The Sociological Imagination, Mills prétendit que la pensée sociologique consistait à rapprocher des trajectoires biographiques personnelles avec des enjeux sociaux plus généraux, en faisant attention aux contextes historiques mouvants. Pourtant, à au terme de la décennie « qui-n’a-jamais-été-si-bonne », il prétendit que la tendance psychologique la plus pertinente était la confusion se propageant au rythme du changement social et culturel (1959, p.8). « Le bien-être », dit-il, se produit lorsque les gens ne sentent pas leurs valeurs menacées, et était improbable en cette « époque de difficultés et d’indifférence » (Mills, 1959, p.11-12). Mills a rendue ridicule l’idée de conduire des études sociologiques empiriques du bonheur comme le proposait Lazarsfeld : les sociologues devraient interpréter « l’avènement de l’homme aliéné » et s’ils observaient une quelconque forme de bonheur ils feraient mieux de s’inquiéter que des forces sociales ne les pas transformés en « robots enjoués et obéissants » (Mills 1959, p.60-171). Le pessimisme culturel était également promu par l’œuvre Sane Society de Fromm, qui allait à l’encontre du nouvel optimisme de l’Europe d’après-Guerre en affirmant dogmatiquement que « le monde au milieu du XXe siècle est mentalement plus malade qu’il ne l’était au XIXe siècle » (1955, p.102).
Encore aujourd’hui, même lorsqu’ils se focalisent supposément sur les biens communs, l’épanouissement, et la « société saine », les chercheurs en sciences sociales tendent à se percevoir eux-mêmes comme des « théoriciens sociaux critiques » qui étudient les maux sociaux de telle façon qu’ils puissent « transformer les arrangements sociaux qui brident l’épanouissement humain » (Cooke 2006, p.7-9). Bien sûr, aucun n’affirmerait en âme et conscience que la société est en général mauvaise pour nous. En effet, une faille importante dans les sciences sociales est l’optimisme implicite attaché à l’essence bénéfique/la vertu présupposée des valeurs culturelles et des relations sociales. Si la science sociale pathologiste adopte une approche de « l’hygiène sociale » (partant du principe que le bonheur provient de l’élimination des maux sociaux), le revers de la médaille est l’hypothèse répandue (parmi les adaptativistes romantiques, les fonctionnalistes, et autres marxistes) que le mal provient de la perte ou de l’absence de valeurs culturelles plutôt que de la face sombre de processus culturels et sociaux (Edgerton, 1992; Alexander, 2003, p.114-115). Si la société moderne a promu l’aliénation ou l’anomie, par exemple, ces concepts impliquent également que la source des maux n’est pas la société elle-même mais la perte des significations et des attaches traditionnelles, et le détachement entre l’individu et la société qui en résulte. En effet, lorsque le sociologue positif Corey Keyes a conçu un ensemble d’indicateurs de « bien-être social » il a supposé que l’optimisme à propos de la condition sociale était un signe de santé mentale, indépendamment du fait que la société en question fut bénigne ou non (1998, p.123). De manière semblable, un très grand nombre d’études des bienfaits du « capital social » et du « soutien social » ont tout simplement utilisé ces concepts vagues pour servir de catégories pour la bonne société, lorsqu’en fait de nombreuses sortes de liens sociaux, incluant des relations apparemment « soutenantes », sont clairement néfastes pour la santé et le bien-être (Putzel, 1997; Pahl, 2003).
Cette sorte de polarisation entre d’un côté les bonnes choses et de l’autre les mauvaises semble analogue à l’ambiguïté des environnementalistes, pour qui les « problématiques environnementales » sont par essence des pathologies en quête d’un remède, mais qui traitent également « l’environnement » (tout comme « la nature ») comme une entité par essence bénéfique – quelque chose que les êtres humains seraient bien avisés d’éviter de perturber. De manière similaire, l’attention des chercheurs et des militants des sciences sociales est accaparée par le défi consistant à comprendre les maux sociaux dans l’optique de les éradiquer. Mais dès lors que la fracture sociale et le désengagement sont perçus comme les problèmes centraux, il est trop facile de s’en remettre à de naïfs espoirs sur les bienfaits d’un retour aux biens sociaux qui ont été perdus ou fragilisés – tels que la solidarité, le capital social, la culture traditionnelle ou les valeurs familiales.
Il se fait clairement besoin de critères qui nous permettraient d’être nuancés et transparents dans notre évaluation des bienfaits et méfaits sociaux. Ainsi que Bulmahn l’évoque : « aux temps de Durkheim et Weber, parler d’ambivalence de la modernité signifiait mettre en lumière ses aspects obscurs ; de nos jours nous devons nous rappeler de ses succès » (Bulmahn, 2000, p.392). Ce qui se produit, en pratique, c’est que les bienfaits sociaux sont laissés-pour-compte tandis que toute l’attention des universitaires et des praticiens est consacrée à l’analyse et la lutte contre les maux. Etrangement, même les sociologues qui font le choix de catégories à la résonance positive comme « le plaisir », « le bien-être », « la santé mentale » ou « le bonheur », ont tendance à écrire principalement sur les pathologies et à faire peu de (voire aucun) cas des recherches contemporaines sur le bonheur. L’ouvrage de Ferguson, La science du plaisir (1990) contient trois chapitres portant ostensiblement sur « le bonheur », mais aucun d’entre eux ne prend la peine d’analyser ce concept, ni de mentionner les travaux académiques sur le sujet, hormis quelques citations de philosophes antérieurs au XXe siècle. La promesse d’une approche « sociologique » semble prendre la forme de références occasionnelles aux contextes « capitaliste » et « moderne » dans lesquels ces philosophes ont produit leurs textes. Les autres parties du livre sont organisées, étonnamment, autour des rubriques « amusement », « plaisir » et « excitation », à charge pour le lecteur de deviner à tâtons ce que ces termes signifient et en quoi ils se rapportent au bonheur.
L’ouvrage Handbook of the Sociology of Mental Health d’Aneshensel et Phelan, en dépit de son titre, porte « sur les personnes qui souffrent » et se trouve tellement focalisé sur l’analyse sociale de la « psychopathologie » que même sa réédition ignore les tendances récentes s’appuyant sur des approches « positives » de la santé mentale (1999/2013, p.13). Cela est vrai également de l’ouvrage A Sociology of Mental Health et Illness (2005) de Rogers et Pilgrim, malgré leur effort manifeste de distinguer les approches positives et négatives des conditions mentales. La compilation à orientation politique de Bradshaw (2002), The Well-being of Children in the UK, est quasi-exclusivement focalisée sur la pauvreté, l’injustice et la souffrance, en dépit de son titre et de l’illustration de couverture montrant des enfants souriants (l’édition 2011, cependant, reflète l’esprit du temps en ajoutant un nouveau chapitre sur le bonheur). Les 600 pages de l’ouvrage d’Hermalin, The Well-being of the Elderly in Asia (2002), ne contiennent aucune référence au bonheur. Même le livre de Kosaka, A Sociology of Happiness (2006), est principalement centré sur des thématiques comme la souffrance, les inégalités, la violence, la surveillance intrusive de l’Etat. L’ouvrage de Sara Ahmed, The Promise of Happiness, est une parodie presque comique d’un scepticisme anti-bonheur, dont la mission déclarée est « de tuer la joie […] afin de faire place à la vie » (2010, p.20). Quant au livre d’Ehrenreich, Smile or Die (2009), une critique tragicomique et semi-autobiographique de l’optimisme culturel nord-américain, il est le chantre de la tradition pessimiste en sociologie et demeure probablement la critique la plus largement citée de la psychologie positive.
- La sociologie à la première personne du singulier : l’humanisme interprétatif contre la quantification positiviste
Le pessimisme culturel n’est pas propice à l’étude du bonheur social, mais Mills et Fromm ont au moins défendu l’idée, héritée de Weber, que les sociologues devraient s’intéresser systématiquement à l’expérience individuelle et à la facilitation sociale de la production de sens. Ils ont adopté le pessimisme de Durkheim mais ont résisté à son antipathie pour le psychologisme et la subjectivité. Malgré l’attention évidente qu’il porta aux sentiments personnels dans Le Suicide et dans Formes élémentaires, élaborées plus avant dans Règles de la méthode sociologique (1895/1982), Durkheim a développé une distinction obsessionnelle et complètement irréaliste entre la société et les mentalités individuelles. La « vision de l’intérieur » était donc reléguée aux psychologues pour une bonne part du XXe siècle.
Etrangement, un antipsychologisme similaire a prévalu au sein de l’anthropologie sociale britannique malgré le fort intérêt de Malinowski pour la psychologie et ses exhortations dès le début de son texte fondateur Les Argonautes du Pacifique occidental, incitant les anthropologues à essayer de comprendre le bonheur et les motivations individuelles (1922, p.25). L’empathie appréciative interculturelle a, en théorie, été placée au cœur de l’anthropologie. On trouvera peu d’étudiants en anthropologie ou en sociologie d’un quelconque pays qui ne se sont pas vus encouragés inlassablement à faire des rapprochements entre leurs enquêtes et leurs propres expériences de vie. Pourtant l’analyse explicite des expériences des gens et des évaluations de vie est si rare dans chacune des disciplines que cette approche doit être spécifiée en tant que « anthropologie de l’expérience », « sociologie phénoménologique » ou « sociologie positive », comme s’il s’agissait de sous-disciplines de spécialistes ou d’approches excentriquement/bizarrement innovantes.
L’intérêt porté par Weber aux approches humanistes et interprétatives de l’expérience subjective représente une autre source importante d’inspiration pour les chercheurs en sciences sociales qui rejettent la croyance irréaliste de Durkheim en la dichotomie entre sociologie et psychologie. Il a consacré bien moins d’attention au bonheur que ne le firent les autres pères fondateurs de la sociologie, et ses influences sur les perspectives d’une sociologie du bonheur furent équivoques. Il contribua à faire en sorte que les sociologues s’intéressent à la façon dont les facteurs sociaux et culturels soient intériorisés dans le vécu personnel, et à l’importance de cette production de sens intérieure dans l’évolution des institutions et des comportements. Il est, par conséquent, une figure centrale dans l’analyse sociale des valeurs et du sens de la vie, et à cet égard il peut être vu comme un père fondateur de la sociologie du bonheur. D’un autre côté, en insistant sur le fait que la sociologie elle-même devrait être « indifférente aux valeurs », il a sans doute dissuadé de nombreux sociologues d’entreprendre des travaux incontestablement imprégnés de valeurs, comme l’observation de la construction socioculturelle du bonheur. Il a rejeté l’idée que la science sociale devrait être édifiée dans l’objectif de promouvoir le progrès social et le bonheur (Allen, 2004, p.135), et il légua un solide héritage de pessimisme culturel quant aux effets de la modernité (Seidman, 1983).
La sociologie du XXe siècle a pris un tournant humaniste et biographique avec la publication de Thomas et Znaniecki, The Polish Peasant in Europe et America (1918/1927). Ces auteurs, cherchant à explorer l’expérience de la société à travers les récits de vie des individus, se lamentaient dans leur introduction à propos du manque tragique/préjudiciable de recherche systématique sur le bonheur (p.84). Pourtant dans leur livre, malgré de nombreuses références passagères/ au bonheur dans les extraits de lettres personnelles, on ne décèle aucune tentative d’édifier une analyse systématique du bonheur. Jusqu’à la fin du siècle, bien que la recherche biographique ait fleuri en sociologie et en anthropologie, l’hypothèse par défaut demeura que les récits de souffrance et de lutte étaient dignes d’un plus grand intérêt que ceux relatifs au bonheur (Bertaux et Kohli, 1984; Grima, 1992).
La sociologie de l’expérience émotionnelle individuelle décolla véritablement avec le travail pionnier de Hochschild sur la gestion des émotions des agents de bord, annonçant ainsi une nouvelle ère de la sociologie des émotions (1983). Mais la persistance du pathologisme est nette dans son œuvre. Plutôt que d’attirer notre attention sur les satisfactions et sur les bienfaits personnels et sociaux de la gestion des émotions, elle l’oriente sur l’injuste exploitation commerciale et patriarcale des émotions féminines. Les sociologues et les anthropologues ont l’habitude commune d’utiliser la « subjectivité » comme un synonyme de « souffrance ». Les textes sociologiques et anthropologiques sur « l’émotion » et « la subjectivité » cherchent rarement à brosser des portraits nuancés des expériences personnelles et des évaluations provenant de l’intérieur en général ; ils tendent plutôt à relater des mauvaises expériences et des évaluations négatives (Barbalet 1998, 2002; Biehl et al., 2007).
Une large part de la recherche sociale, explicite et systématique, sur le bonheur a été conduite sous la forme d’enquêtes quantitatives. Bien que les travaux empiriques sur ce sujet aient seulement récemment retenu l’attention des médias et des gouvernements, les analyses sociologiques empiriques sur le bonheur remontent aux années 1920-1930, lorsque des études sur la satisfaction dans l’emploi (Mayo, 1933/2003) ou le bonheur conjugal (Burgess et Cottrell, 1939) ont ouvert la voie à de futures investigations sur la satisfaction de vie. Les théories de Ward sur le bonheur ont reçu une abondante couverture sous la forme d’un chapitre résumé dans le manuel de Park et Burgess, Introduction to the Science of Sociology (1921), bien qu’à cette époque l’idée de mesurer des satisfactions partielles dans les différents secteurs de la vie ait été à peine effleurée, sans parler de mesurer le bonheur global lui-même. L’œuvre de Burgess a inspiré des travaux postérieurs sur le bonheur conjugal par Lazarsfeld et Rosenberg dans les années 1940-50, et leur permit d’annoncer avec confiance qu’il était envisageable de fournir des mesures fiables du bonheur (Lazarsfeld et Rosenberg, 1955, p.270-274).
Bien que la sociologie du bonheur ait consisté seulement en des études occasionnelles de la satisfaction conjugale ou professionnelle jusque dans les années 1960, il est possible d’affirmer que sur les deux rives de l’Atlantique ce sont les sociologues, davantage que les psychologues ou les économistes, qui contribuèrent le plus à établir la science du bonheur des années 1960 aux années 1990. Aux Etats-Unis, l’ouvrage de Cantril Pattern of Human Concerns (1965), devint le texte inspirateur d’une nouvelle science de la mesure du bonheur, et fut suivi par la fondation de la revue Social Indicators par Alex Michalos en 1974, la publication par Campbell, Converse et Rogers de The Quality of American Life (1976) et par Andrews et Withey de Social Indicators of Well-Being (1976) qui confirmèrent la crédibilité d’une démarche scientifique de mesure du bonheur déjà mature. Le bonheur et la satisfaction sectorielle devinrent des thématiques clefs au sein du mouvement des « indicateurs sociaux » (Carley, 1981; Johnson et Carley, 1981), prêtant un degré de positivité à un ensemble de préoccupations par ailleurs fortement teintées de pathologisme. C’est aussi dans les années 1970 que les travaux sociologiques investiguèrent les problématiques de la classe, de la race, du mariage, et du travail sous l’angle du bonheur et de la satisfaction de vie (Glenn et Weaver 1979, 1981; Witt et al. 1980; Thomas et Hughes 1986). En Europe, deux monographies sociologiques sur le bonheur parurent dans les années 1980 : Happiness, Lifestyle and Environment (1982) de Maddox et Conditions of Happiness (1984) de Veenhoven. Aucune d’entre elles n’a touché une large audience à l’époque, bien que Veenhoven s’apprêta à devenir le héraut de la recherche sur le bonheur en Europe. Peu après, l’Institut pour la Recherche sur le Bonheur fut fondé à Vallendar (Allemagne), par le sociologue Alfred Bellebaum qui exerça sans doute une influence cruciale sur les nombreux sociologues et économistes du bonheur s’exprimant aujourd’hui en langue allemande (Bellebaum 1994, 2002, 2010).
La recherche sociologique positiviste s’est poursuivie comme une composante de la science du bonheur empirique (Yang, 2008; Schnittker, 2008; Firebaugh et Schroeder, 2009), mais n’est pas encore devenue une branche significative de la sociologie dominante. Ces études empiriques peuvent sûrement être qualifiées de « sociologie du bonheur » dans le sens où elles sont à la fois positives et dans une certaine mesure respectueuses de la subjectivité. Néanmoins, enquêter au moyen d’auto-questionnements chiffrés, forcément réducteurs, est un chemin éloigné des avancées que nous attendons sur le plan de l’empathie. Les auto-évaluations sur le bonheur (ou son absence) nous informent sur les anticipations (ce que les gens attendent, espèrent, recherchent ou redoutent), les expériences actuelles et les souvenirs. L’empathie est notre viatique/itinéraire pour jauger l’expérience subjective de nos semblables. Les enquêtes d’auto-évaluation sont incapables, quant à elles, de fournir un accès direct à l’expérience subjective : elles sont inéluctablement intersubjectives et situationnelles (Davidson 2001: chapitres 1-3). Dans le futur, les recherches sur le bonheur social devront enrichir notre compréhension des auto-évaluations en appréciant l’importance morale et épistémologique des échanges intersubjectifs, grâce à une « deuxième personne », par lesquels les gens (y compris les sociologues) tentent d’atteindre une précision empathique en imaginant ce qui se produit dans l’esprit de leurs semblables.
L’internalisme – c’est-à-dire la reconnaissance de la réalité et de l’importance d’une conscience phénoménologique, combinée à une attention portée systématiquement à l’être et à l’expérience personnelle, par l’introspection et l’empathie envers autrui – a longtemps été l’une des thématiques clefs de la modernité, mais curieusement n’a pas toujours été reconnue comme un aspect nécessairement central de l’étude des réalités sociales et mentales (Lauer, 1958; Zahavi, 2005; Farkas, 2010). En effet, l’idée même d’un « sujet » humain autonome a fait l’objet de controverses pendant des décennies en sociologie et dans les disciplines et mouvements connexes tels que les études culturelles, le féminisme et le postmodernisme. Nombreux sont les penseurs sociologistes qui ont essayé de diverses manières de « nier » l’existence ou l’importance du sujet, tout en retombant inévitablement dans une sorte de reconnaissance de l’expérience subjective (Boyne, 2001). De fait, la genèse et l’essor des études contemporaines sur le bonheur a ironiquement coïncidé avec une époque où l’abstraction phénoménologique et postmoderniste (particulièrement incarnée par des intellectuels persuasifs isolés dans une tour d’ivoire) ont fièrement déclaré l’avènement d’une nouvelle ère de « post-individualisme » ou de « post-subjectivité » (Dallmayr, 1981; Terada, 2001) voire même de « culture post-émotionnelle » (Mestrovic, 1997; Vester, 1999).
En partie, ces arguments ont porté sur la théorie de l’agency et les relations entre les pensées individuelles et les structures ou processus sociaux. Ils ont aussi porté sur le souhait des sociologues de distinguer leurs approches de celles du psychologisme. Le dénigrement/la minimisation ou le déni sociologique de la subjectivité pourrait par conséquent être dû à une croyance que les sociologues devraient éviter les perspectives personnelles. Pourtant, comme l’affirme un sociologue phénoménologue, « l’approche phénoménologique n’est pas psychologiste », et dans tous les cas « le psychologique est inséparable du social dans la vie réelle » (Wagner, 1983, p.3). De surcroît, faire un effort pour apprécier et comprendre l’expérience subjective est en soi une démarche complexe et intersubjective, qui n’offre aucun accès privilégié « en coup d’œil » à la réalité de l’expérience personnelle (Varela et Shear, 1999, p.2). Même si nos expériences semblent se produire à l’intérieur de nos cerveaux, elles existent en fait également à l’extérieur – non seulement dans les autres parties de nos corps mais surtout dans les rencontres interpersonnelles, et au sein de contextes socioculturels.
En d’autres termes, afin d’observer la manière dont les processus sociaux et les esprits des individus interagissent, les sociologues comme les psychologues ont besoin de recourir à des approches phénoménologiques qui mobilisent l’empathie pour essayer de se rapprocher au plus près de la compréhension de la manière dont la réalité est vécue depuis des perspectives différentes. On peut donc aller jusqu’à affirmer que l’empathie n’est pas seulement une capacité cruciale pour conduire des recherches, mais aussi une façon importante pour la sociologie de contribuer à la qualité du tissu social et du bonheur individuel. Si nous œuvrons réellement à promouvoir l’amour et la compréhension dans la « civilisation de l’empathie » (Rifkin 2010), nous pourrions être grandement aidés par une recherche qui véhiculerait la connaissance des différentes manières dont les mêmes réalités externes sont vécues intérieurement. En tant qu’individus, nous pouvons apprendre à « vivre mieux » à la fois dans un sens moral (être plus compatissants/empathiques) et dans un sens prudentiel (l’empathie profite à l’empathique, car par cette attitude et les actes qui en découlent nous permettons à nos âmes/notre moi de fusionner jusqu’à un certain point avec celles/celui d’autrui) (Hodges et al., 2011). A contrario, une emphase excessive sur les réalités externes « objectives » et mesurables telles que la santé, la propriété, l’appartenance de classe, la richesse matérielle et les droits, peut inhiber la compréhension empathique en substituant le bien-être objectif au bien-être subjectif.
De nos jours, le bonheur renferme une signification profondément psychologique, incluant les expériences plaisantes et une variété d’autres valeurs mentales telles que la sensation du devoir, l’estime de soi et le sens. Tandis que dans le passé (et cela est toujours le cas dans l’actuelle bureaucratie anglophone du Bhoutan, par exemple) le terme a souvent été utilisé pour refléter un ensemble plus vaste de conditions de vie objectives, que nous nommons désormais « bien-être » et « qualité de vie », la plupart des locuteurs anglophones à notre époque n’ont plus besoin de préciser que par le mot « bonheur » ils désignent le « bonheur subjectif ». Les philosophes ont longtemps insisté sur l’importance du bonheur psychologique, et la plupart admettent qu’il n’est pas le seul bienfait que nous poursuivons. Au contraire, il apparaît évident que c’est une valeur si importante qu’aucune description du bien-être ou d’une qualité de vie ne s’approche d’une adéquation morale, ou seulement descriptive, sans prendre attentivement en compte la subjectivité. Cela signifie qu’on essaye d’éprouver de l’empathie pour des gens en éludant leur capacité à se réjouir et la façon dont se déroulent leurs vies.
Conclusion
Abraham Maslow, une source d’inspiration majeure de la psychologie positive, nous explique que son humanisme psychologique fut inspiré par la théorie de l’anthropologue/sociologue Ruth Benedict portant sur la manière dont la société place en synergie le bonheur et la vertu en tirant des rétributions personnelles d’un comportement pro-social [c’est-à-dire altruiste] (Maslow, 1971/1993, p.135,p.191). On peut affirmer que la facilitation des relations sociales est le thème le plus important dans la recherche sur le bonheur, pourtant cette œuvre procède d’un apport minime des sociologues. Aujourd’hui, seule une petite minorité de ceux qui font profession de se spécialiser dans l’étude du bonheur sont des sociologues ou des anthropologues sociaux. Dans l’un des plus récents méta-recueils d’articles sur le bonheur, seuls deux auteurs sur plus d’une centaine (Veenhoven et Keyes) sont des sociologues, et aucun d’eux ne contribue aux chapitres sur « la société » et « les relations » (David et al., 2013). Ce recueil a été dirigé par des psychologues, mais même lorsque le sociologue Keyes a assemblé sa récente anthologie sur Le bien-être mental – un texte intentionnellement dirigé vers la promotion des approches socio-épidémiologiques – il a sélectionné 25 psychologues et chercheurs en santé mais aucun sociologue (Keyes, 2013). Nous ne sommes pas non plus simplement confrontés à un problème de dissimulation de la sociologie du bonheur sous d’autres rubriques : deux revues de littérature majeures sur la « qualité de vie » ont établi qu’en dépit des rôles centraux de sociologues américains dans le développement d’enquêtes sociales, la discipline académique de la sociologie est demeurée largement indifférente/étrangère au concept de qualité de vie (Schuessler et Fisher, 1985; Ferriss, 2004).
Il est toujours possible aujourd’hui de valider un cursus pluriannuel dans l’enseignement supérieur en sociologie, en politique sociale ou en anthropologie, sans jamais avoir à lire un texte ou écrire une dissertation ni sur le bonheur ni sur le progrès social. Peu d’encyclopédies, de précis ou de manuels introductifs dans l’une ou l’autre de ces disciplines n’accorde davantage d’attention à ces sujets qu’un bref survol. En bref, la préoccupation la plus essentielle de l’humanité a été marginalisée dans chacune de ces disciplines, et cela rend la recherche en sciences sociales moralement moins transparente qu’elle ne devrait l’être. Ainsi que Du Bois et Wright l’affirment, la psychologie humaniste depuis les années 1960 a recherché en vain la compagnie de la sociologie humaniste, qui pourrait analyser systématiquement comment la société permet aux humains de s’épanouir. Au lieu de cela, « la sociologie de nos jours continue de se focaliser sur les problèmes plutôt que sur les solutions et sur la bonne santé de la société » (Du Bois et Wright, 2002, p.10). Même le concept prometteur et enthousiasmant de « capital social », d’abord introduit aux par le réformateur social états-uniens Hanifan il y a près d’un siècle (1916) et ravivé par le sociologue Coleman dans les années 1980 (Coleman, 1988), s’est révélé bien moins populaire parmi les sociologues que parmi les économistes et les politistes (Svendsen, 2009, p.4).
Dans leurs vies personnelles, la plupart des chercheurs en sciences sociales sont sans aucun doute sensibles au plus haut point à leur propre bonheur et à la manière dont ils peuvent contribuer à l’avènement de progrès sociaux, mais cela ne transpire pas de leurs travaux académiques. L’attention systématique portée au progrès social est advenue dans les années 1990 avec les notions de « qualité sociale » et de « bien-être social » (Bach et Rioux, 1996; Beck et al., 1997; Thin, 2002; Lin et al., 2001; Gasper, 2011; Abbott, 2012; Yee et Chang, 2012). Dans les politiques publiques et la pratique de l’entreprise privée, le concept de « valeur sociale » est devenu extrêmement influent dans certains pays comme le Royaume-Uni et les Etats-Unis (Jordan, 2008; Cox, Bowen et Kempton, 2012). Peu d’enseignants-chercheurs se réclament cependant de ce registre.
Le bonheur, qui peut être vu comme la plus importante et la plus fascinante des aptitudes humaines, apparaît dans des contextes sociaux et culturels particuliers (Haller et Hadler, 2006:171). On apprend à le décrypter à travers les répertoires culturels et les interactions sociales. Tout comme l’âme et l’esprit en général, le bonheur est vécu comme s’il jaillissait momentanément dans nos têtes, mais cela est une illusion égocentrique car l’action réelle est répartie à travers le temps et l’espace, parmi une multitude d’acteurs. Comme c’est le cas avec les perceptions sensorielles et cognitives, de même nos émotions, nos dispositions évaluatives et nos valeurs sont réparties et interactives. Le bonheur est un produit d’une imagination culturelle, d’une construction sociale, il est discuté, comparé, raconté de manière interactive, et il est hautement contagieux. Nous pouvons certes mesurer des auto-évaluations, mais nous sommes incapables de mesurer directement le bonheur parce qu’il n’est pas une entité tangible. Non plus qu’une propriété du cerveau de la personne interrogée : l’appréciation de sa vie pourrait sembler une pure construction psychologique, d’un point de vue interne, mais nous développons ces facultés et dispositions lorsque nous sommes en interaction avec autrui. Notre sensation d’être heureux (ou pas) et que nos vies sont bonnes (ou mauvaises) surgit d’un ensemble d’interactions complexes entre les cerveaux, les corps, les contextes socioculturels et les environnements physiques.
La sagesse populaire, tout comme la psychologie positive, peut traiter le bonheur comme une chose existant dans la tête des gens, et pouvant par conséquent être « exprimée » justement et directement à travers des autoévaluations. Mais il est essentiel que les chercheurs en sciences sociales insistent sur une dimension complémentaire du bonheur, comme un phénomène socio-écologique, décentralisé et en émergence. A ce stade, les travaux sur le bonheur et leurs traitements médiatiques ou leurs applications politiques ont été dominés par une métaphore essentialiste, considérant le bonheur comme une donnée mesurable. Les analyses et les enquêtes sous-jacentes tendent à traiter les auto-évaluations comme des preuves relativement peu problématiques de ce qui se produit à l’intérieur de la tête des gens, extrait par des experts de manière appropriée. L’étude des émotions, de la même manière, utilise le concept « d’expression » comme si l’expérience émotionnelle se produisait dans le cerveau des gens avant d’être confessée extérieurement. La métaphore barométrique du bonheur comme une sorte de niveau de bien-être dans les cerveaux des individus, et les métaphores dérivées de l’extraction et de l’expression, ne sont qu’une façon parmi d’autres d’envisager le bonheur. D’autres approches importantes sont assez différentes, l’abordant sous l’angle de conversations et de récits qui sont socialement et culturellement enracinés et qui peuvent seulement être appréhendés à travers les interactions et l’analyse qualitative.
Les travaux sur le bonheur demeureront donc fortement handicapés jusqu’à ce que les sociologues et anthropologues apportent leurs méthodes, leurs approches analytiques, et leurs connaissances pour peser sur la construction sociale et culturelle du bonheur. A contrario, la sociologie et l’anthropologie resteront grossièrement/fâcheusement biaisées et dépourvues d’empathie si elles persistent à ignorer le besoin d’études systématiques de la manière dont les gens vivent des vies véritablement bonnes dans des sociétés véritablement bénéfiques.
L’argument le plus solide pour développer de nouvelles formes d’investigation explicite du bonheur en sociologie et en politiques publiques, cependant, est qu’en faisant cela, nous gagnerons en transparence – pour nous-mêmes et pour autrui – sur ce qui guide véritablement notre boussole morale. La sociologie a toujours été une discipline moralisante, visant non seulement à décrire les institutions et processus sociaux mais aussi à critiquer leurs manquements en suggérant des pistes d’amélioration. A ce stade, ces critiques ont été fondées sur des logiques déontologiques plutôt que causales ou corrélatives. Ce que cela signifie, c’est que les inégalités et les maux sociaux sont perçus comme mauvais simplement parce que nous savons qu’ils sont mauvais, plutôt que parce que nous avons établi la preuve démontrant qu’ils conduisent à davantage de souffrance et moins de bonheur que cela ne serait le cas dans une société mieux organisée.
Une dernière question valant la peine d’être abordée est de savoir si nous avons besoin de sous-disciplines spécifiques de la « sociologie du bonheur » et de « l’anthropologie du bonheur ». En cette nouvelle époque d’information abondante, et circulant librement, les collaborations transdisciplinaires et les échanges de connaissances deviennent de plus en plus faciles. S’il le souhaite, tout sociologue, tout anthropologue peut immédiatement entrer en relation avec des chercheurs sur le bonheur issus d’autres disciplines. Pourquoi donc devraient-ils s’inquiéter au sujet du fait que leurs disciplines d’origine prennent au sérieux les travaux sur le bonheur ? Nous pensons pour notre part qu’étant donné l’immense diversité de méthodes et de thématiques dans la recherche sur le bonheur, toutes les branches de la recherche sur le bonheur nécessitent une double stratégie : approfondir la transdisciplinarité d’un côté, tout en essayant de l’autre côté de faire en sorte que leurs disciplines d’origine respectives ne continuent pas à avoir l’air sottes et isolées en rejetant les travaux sur le bonheur. Cette dernière tâche est un défi pour les sociologues comme pour les anthropologues, mais l’une et l’autre de ces disciplines a beaucoup à gagner à montrer à leurs consœurs qu’elles ont, après tout, d’importantes contributions à apporter à la compréhension du bonheur.
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[1] Le lecteur qui douterait de cela peut regarder quelques textes introductifs à la discipline, les résumés des thèmes de recherche des universitaires, ainsi que les listes de lecture communiquées aux étudiants, afin de mesurer non seulement la prépondérance de thématiques manifestement pathologiques comme la criminalité, la pauvreté, l’exclusion sociale, mais également la manière dont des enjeux potentiellement positifs – comme le pouvoir, le genre, l’éducation, la santé, la santé mentale, la vie familiale – tendent à être traités sous un angle pathologique