Recension de « Understanding and managing uncertainty in healthcare: Revisiting and advancing sociological contributions » de Nikola Mackintoch et Natalie Armstrong (Wiley Blackwell, 2020) | Gaël Brulé

Understanding and managing uncertainty in healthcare: Revisiting and advancing sociological contributions est un ouvrage collectif co-dirigé par Nikola Mackintoch et Natalie Armstrong (WIiley Blackwell, 2020). Il est publié dans un numéro spécial de la revue Sociology of Health & Illness avec un accès libre à l’ensemble des contenus. Il se compose de dix chapitres sur la façon dont l’incertain s’insère dans les plis des établissements de santé et comment celui-ci empêche ou permet le bien-être des patients et du personnel soignant. C’est un ouvrage dont les entrées sociologiques et ethnologiques analysent la façon dont l’incertain est produit ou est producteur dans des contextes très variés (environnement néonatal, psychiatrie, psychologie clinique, traitements de fin de vie…).

La sociologie s’est emparée du thème de l’incertain, du risque depuis Émile Durkheim (1997) mais plus récemment, c’est surtout à Ulrich Beck (2001) que l’on doit les réflexions les plus fécondes. Nous vivons depuis les deux guerres mondiales et la fin des trente glorieuses dans des sociétés du risque, c’est-à-dire des sociétés qui génèrent des formes inédites potentielles de vulnérabilisation des individus et des sociétés. Les risques économiques, technologiques, biotechnologiques et environnementaux font partie de ces nouvelles formes de risque. Understanding and managing uncertainty in healthcare: Revisiting and advancing sociological contributions décline ce propos au monde de la santé, qui récupère les problèmes sociaux et sanitaires et qui doit composer avec de nouvelles logiques économiques. La richesse du livre réside dans sa capacité à faire dialoguer plusieurs services, de voir l’incertain parfois comme quelque chose à gérer, parfois comme une instance productrice et parfois comme le résidu d’un ethos (par exemple néolibéral).

Le chapitre d’Alan Cribb (2020) parle de la notion de normativité implicite, en particulier dans le cadre de la bioéthique. Si la normativité implique un ensemble d’accords moraux qui se coconstruisent au sein des interactions sociales et de relations de pouvoir, la normativité implicite désigne spécifiquement l’ensemble des accords qui ne sont pas mentionnés ou tenus pour acquis. Cette notion de normativité implicite est par exemple au centre du chapitre de Amy Chandler et al. (2020) dans le cadre de la marginalisation de patients utilisant des substances comme les parents dans l’univers néonatal. Expliciter la normativité au sein de ce contexte serait pour les auteurs un moyen de normaliser plutôt que d’exclure les parents étant dans ces situations. Toujours dans l’univers néonatal, Lisa Hinton et Natalie Armstrong (2020) montrent que l’acquisition de connaissances est un moyen pour les parents de rapidement naviguer face à des décisions chirurgicales difficiles pour le nouveau-né dans un océan d’incertitudes. Rhiannon Lane (2020) montre également combien le diagnostic est crucial dans le domaine psychiatrique et que le flou entre des catégories construites, dépourvues de biomarqueurs, et une gestion conservatrice de l’incertain tendent à pathologiser des comportements vus comme divergents, comme a pu être l’homosexualité au sein de la troisième version du Diagnostic and Statistical Manual (DSM-III). Martyn Pickergill (2020) montre que certains métiers comme les psychologues cliniciens permettent de naviguer l’incertain en servant de passerelles entre des mondes informationnels disjoints. Julia Swallow (2020) analyse comme Rhiannon Lane, la limite entre le normal et le pathologique dans la continuité des travaux de Georges Canguilhem (2013). Caroline Cupit et al. (2020) montrent que, en limitant les risques et en utilisant un cadre de risques basées sur les données probantes, la pratique des soignants tend à voir dans le patient un cas et à laisser de côté la parole des patients. Dagoberto Cortez et Michael Halpin (2020) tirent l’incertain dans la situation extrême de la fin de vie entre les choix palliatifs, la recherche, notamment sous l’angle de la qualité de vie. Naike Bochatay et Nadja Bajwa (2020) montrent dans une étude comparative entre contextes suisse et américain que le personnel soignant adopte souvent la position de leur superviseur quant à l’incertain. Les mouvements à travers l’incertain agissent positivement, c’est-à-dire que le personnel soignant est producteur d’actions, d’affects et de nouvelles ontologies (Moreira et al., 2009). Du point de vue des classifications, l’exemple de la maladie d’Alzheimer de Julia Swallow (2020) montre que l’incertain n’est pas anéanti par le processus de catégorisation mais fait partie de cette tentative voire sert d’espace de résistance contre la classification. Les mouvements de va et vient entre le normal et le pathologique servent à mettre en avant les processus normatifs qui dessinent les contours de ces catégories. Caroline Cupit et al (2020) montrent que les professionnels de santé viennent amener du jeu entre les catégories « malades » et « pas malades ». Ils tentent d’enlever l’incertain du patient entrant dans le monde médical et de se concentrer sur l’incertain dans le diagnostic ou le traitement. Dans le cas de la fin de vie, l’incertain est un espace dans lequel vient se négocier des traitements à prouver, une amélioration de la qualité de vie au prisme d’un rapport au risque et d’une relation patients, personnel de soin et famille. Les essais cliniques peuvent tout autant allonger la durée de vie de semaines, mois ou années ou simplement diminuer leur qualité de vie. Si ce livre est d’une grande aide théorique, il pourrait être complété par des apports conceptuels et empiriques qui l’enrichiraient. Tout d’abord, si le point de vue des patients n’est pas absent, le bien-être subjectif aurait pu jouer un rôle plus central. Est-ce que la gestion de l’incertain au niveau de l’institution diminue le bien-être déclaré des patients ou du personnel ? Si l’on comprend que l’incertain est producteur, il serait intéressant de voir ce qu’il produit, en positif et en négatif du point de vue du bien-être subjectif. Ces deux compléments seraient de précieux apports à ce livre dont les apports sont déjà importants. D’autre part, il pourrait être complété en ajoutant les apports environnementaux qui devient la grande variable productrice d’incertain dans un système dominé par les maladies chroniques.

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