Recension de « Les décisions d’orientation : Notions fondamentales » de Yann Forner (Septentrion, 2021) | Laurent Sovet

L’indécision peut se concevoir comme « l’incapacité d’un sujet à exprimer un choix pour une activité différenciée lorsqu’il est amené à le faire » (Forner, 2021, p. 52). Cette définition est susceptible de se contextualiser à des situations variées de la vie quotidienne où un choix est attendu. Dans les sciences de l’orientation, et plus spécifiquement en psychologie de l’orientation, il existe un intérêt de longue date pour expliquer, prédire et accompagner les choix d’orientation (Osipow, 1999 ; Priyashantha et al., 2023). L’indécision vocationnelle (career indecision) y occupe une place notable. Dans la lignée de la définition proposée en préambule, elle correspond à « l’incapacité à définir un choix d’orientation scolaire ou professionnelle » (Kelly & Lee, 2002, p. 322). Au cours des dernières décennies, de nombreux modèles théoriques ont été proposés pour offrir un cadre de compréhension à l’indécision vocationnelle (Foley et al., 2006 ; Sovet, 2014). Au-delà des différences dans les conceptualisations proposées, il émerge un consensus scientifique sur la multidimensionnalité de l’indécision vocationnelle : elle serait la conséquence de plusieurs caractéristiques individuelles et situationnelles (Kulcsar et al., 2020 ; Priyashantha et al., 2023). Si initialement les premières études se centraient davantage sur les publics scolarisés et sur la transition de l’école à l’emploi, le périmètre s’est progressivement étendu pour s’inscrire dans une perspective d’orientation tout au long de la vie (Kulcsar et al., 2020 ; Osipow, 1999). Dans un contexte marqué par le mouvement et l’incertitude, il est possible de considérer que les choix d’orientation deviennent plus complexes et ambigus qu’auparavant (Canzittu, 2022 ; Forner, 2007).

Les travaux de recherche menés par Yann Forner s’inscrivent dans le champ de la psychologie de l’orientation tout au long de la vie, avec des contributions notables à la compréhension de l’indécision vocationnelle dans une perspective différentialiste. Son ouvrage intitulé « Les décisions d’orientation : Notions fondamentales », avec une préface de Francis Danvers, s’apparente à une synthèse des réflexions et des recherches engagées durant son parcours scientifique. Il prend appui notamment sur ses propres publications scientifiques sur la période de 1987 à 2013. L’avant-propos rédigé par l’auteur permet d’éclairer l’essence de cet ouvrage en évoquant « une présentation critique de quelques concepts fondamentaux de la psychologie de l’orientation que l’on peut générer à partir de celui de prise de décision de carrière » (Forner, 2021, p. 19). En complément, plusieurs échelles psychométriques en lien avec ces notions sont disponibles et s’accompagnent d’informations détaillées sur leurs qualités psychométriques. Il est possible notamment de retrouver l’Échelle de Compétences en Orientation au Lycée (Forner et al., 2013), l’Épreuve de Décision Vocationnelle (Forner, 2009) et le Questionnaire de Motivation à la réussite en situation de Formation (Forner, 2010).

Le premier chapitre intitulé « Les conceptions de la décision et l’apport de l’informatique » aborde, dans une brève perspective historique, les différentes entrées qui permettent de comprendre les choix d’orientation et l’apparition des premiers systèmes informatiques susceptibles de faciliter le processus de décision. Le deuxième chapitre intitulé « Un état préparation à la décision : La maturité vocationnelle » porte plus spécifiquement sur le concept de maturité vocationnelle et ses évolutions. Il est possible d’y découvrir une étude sur l’effet des stages en entreprise sur la maturité vocationnelle de 262 jeunes au collège (Forner et al., 1996). Le troisième chapitre s’intitule « La diversité des processus de décision : Stratégies et styles ». Bien que stratégies et styles peuvent sembler très proches, la distinction suivante est introduite : « « stratégie » pour caractériser le comportement en situation, « style » pour caractériser la personne » (Forner, 2021, p. 77). Ce chapitre suggère l’intérêt de proposer des accompagnements différenciés à la prise de décision en fonction des stratégies et des styles de la personne. Le quatrième chapitre intitulé « Un dysfonctionnement fondamental des processus : L’indécision » se centre plus spécifiquement sur la conceptualisation multidimensionnelle de l’indécision vocationnelle, son évaluation psychométrique et l’impact des pratiques d’éducation à l’orientation sur sa réduction. Le cinquième chapitre intitulé « La dynamique des décisions : La motivation à la réussite » porte sur les cadres théoriques mobilisés pour concevoir la motivation à la réussite en situation de formation : le besoin de réussite, le contrôle interne et la perspective temporelle. Il offre une analyse détaillée de plusieurs études portant les liens entre motivation à la réussite et notes aux examens. Il a obtenu des résultats avec des effets plutôt faibles voire nuls qui peuvent être résumés de la manière suivante : « Ces valeurs faibles mais toujours positives correspondent bien à l’idée de motivation en tant que force d’appoint qui ne permet pas seule la réussite mais qui aide à obtenir les quelques points supplémentaires qui feront la différence » (Forner, 2021, p. 152). Le sixième chapitre intitulé « La dynamique des décisions : Les déterminants sociétaux des intérêts et des valeurs » rassemble plusieurs travaux conduits par l’auteur qui portent sur les intérêts professionnels et sur les valeurs.

Le chapitre de discussion ouvre sur des réflexions critiques sur les théoriques et les pratiques qui visent les décisions d’orientation. Plusieurs questions vives sont énoncées. Il est possible de citer le dernier paragraphe qui invite à repenser le dialogue entre recherche et pratique : « On peut espérer que la recherche en psychologie de l’orientation pourra s’organiser par la mise en place d’une recherche fondamentale (généralement descendante) où l’on prend soin de prévoir des applications et, d’autre part, une recherche appliquée (souvent ascendante) où l’on a anticipé une généralisation des observations réalisées, voir des « recherches-actions » sur les décisions d’orientation » (Forner, 2021, p. 187). Dans l’ensemble, cet ouvrage apporte un éclairage critique sur les décisions d’orientation et les notions fondamentales théoriques associées. L’étayage des études menées par Yann Forner pour illustrer ces notions permet d’apporter des éléments concrets qui mettent en perspective cette littérature scientifique. Il aurait été intéressant de prendre appui sur des publications plus récentes. Au cours de ces dernières années, plusieurs synthèses ont été proposées portant à la fois sur les déterminants de l’indécision vocationnelle (Gati, 2013 ; Kulcsar et al., 2020), sa conceptualisation (Sovet, 2014 ; Xu & Bhang, 2019), l’efficacité des pratiques d’aide à l’orientation visant à la réduire (Ozlem, 2019) et des méthodes d’accompagnement à la prise de décision (Rochat, 2019). En cohérence avec les conclusions de l’auteur, de telles publications témoignent de la vivacité des recherches et des applications autour des décisions d’orientation. Cette invitation aux dialogues entre la recherche et la pratique par la recherche translationnelle, la recherche-action et l’expérimentation pédagogique laisse entendre à de futurs prolongements à un champ d’étude toujours aussi prolifique.

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